Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 3.djvu/49

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

heur ; elle pense à son frère sur ce rivage solitaire, où elle s’entretenait avec lui tandis que les vagues venaient se briser tout près de son petit lit. Et maintenant qu’elle est assise là pensive à cette même place, elle entend la mer dans son sourd mugissement lui redire la courte histoire de l’enfant et les paroles qu’il prononçait. Il lui semble aussi que sa propre vie tout entière, avec ses espérances, ses chagrins, depuis sa résidence au sein de la maison solitaire jusqu’au changement survenu, n’est pas non plus oublié dans le refrain monotone du chant magique des mers.

Le bon M. Toots est de même. Il erre au loin sur le rivage, regardant d’un air pensif cette douce figure dont il est fou. Il l’a suivie jusque-là, mais dans sa délicatesse il n’ose troubler sa rêverie et écoute comme elle le requiem du petit Dombey que disent les vagues dans leur hymne perpétuel en l’honneur de Florence. Oui ! et il entrevoit, ce pauvre M. Toots, qu’elles parlent d’un temps où ses idées étaient plus lucides et où son cerveau n’était pas si troublé. Maintenant qu’il craint de n’être plus qu’un imbécile, bon tout au plus à faire rire ceux qui le regardent, il sent des larmes mouiller ses yeux : ce sentiment de tristesse diminue beaucoup le plaisir qu’il éprouve d’avoir perdu Coq-Hardi, ce roi de basse-cour, qui vient de le quitter, après s’être exercé aux dépens des membres de son jeune patron, à sa lutte prochaine avec le fameux Larkey.

Mais M. Toots reprend courage, quand les vagues lui murmurent de douces pensées, et, petit à petit, après bien des temps d’arrêt, il s’approche de Florence. Le rouge lui monte au visage, il bégaye quelques syllabes et feint le plus profond étonnement, quand il se trouve près d’elle. De sa vie il n’a été plus surpris qu’en ce moment ; il n’espérait guère une pareille rencontre ! Pauvre jeune homme !… et cependant il a suivi pas à pas la voiture qui emmenait Florence loin de Londres, trop heureux de pouvoir être asphyxié par les tourbillons de poussière que soulevaient les roues de sa belle.

« Ah ! miss Dombey, vous avez amené aussi Diogène, dit M. Toots tout frissonnant de plaisir en sentant la petite main de Florence serrer la sienne avec tant de gentillesse et de franchise. »

Diogène est là, personne n’en peut douter, M. Toots moins que personne, car l’animal vient se jeter après ses jambes, et dans sa rage pour s’élancer sur lui, il tombe et retombe sur lui-même, comme le chien de Montargis en reconnaissant le