Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 3.djvu/45

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faute. Voilà ce que c’est que d’être entêté ! Voyez-vous, Dombey, ça ne serait peut-être pas bien gracieux, ça ne serait peut-être pas bien raffiné, ça serait un peu rude et coriace, mais, voyez-vous, une goutte du pur sang du vieil anglais Bagstock ne ferait vraiment pas de mal pour la régénération de l’espèce humaine. »

Satisfait d’avoir donné cette précieuse indication dans l’intérêt de l’humanité, le major Bagstock, qui indépendamment de toutes les autres qualités comprises dans la catégorie de l’anglais pur sang qu’il possédait ou qu’il ne possédait pas, on n’en savait trop rien, possédait bien certainement un visage véritablement écarlate, emporta au club ses yeux de homard avec son embonpoint apoplectique et passa sa journée à étouffer.

Cléopatre, tantôt de mauvaise humeur, tantôt satisfaite d’elle-même, tantôt éveillée, tantôt endormie, mais toujours juvénile, arriva à Brighton le même soir, fut démontée pièce par pièce comme à son ordinaire, et précieusement serrée dans son lit : pendant qu’elle y reposait, son imagination mélancolique lui montra peut-être un squelette plus puissant que son squelette de femme de chambre, veillant près des rideaux roses rabattus qui répandaient sur elle leur teinte mensongère.

Il avait été décidé dans une consultation imposante de médecins premier choix, que Mme Skewton devait tous les jours aller prendre l’air en voiture, sortir tous les jours, et marcher même, si faire se pouvait. Edith était toujours là pour l’accompagner avec la même attention machinale, la même beauté impassible : elles sortaient seules, car Edith, maintenant que sa mère allait plus mal, se trouvait embarrassée en présence de Florence, et elle lui avait dit en l’embrassant qu’elle préférait sortir seule avec sa mère.

Un jour, Mme Skewton se trouvait dans un de ses moments d’humeur capricieuse, exigeante et jalouse, qui avait pris de grandes proportions pendant sa convalescence, à la suite de sa première attaque. Après être restée silencieuse dans la voiture, à observer Edith pendant quelque temps, elle lui prit la main et la baisa avec ardeur. La main ne fut donnée ni retirée ; elle obéit machinalement à la direction que lui fit prendre Mme Skewton : celle-ci la lâcha, et aussitôt la main se laissa retomber, presque comme si elle était privée de sensibilité. Alors elle se mit à sangloter et à gémir, en s’écriant :

« Dire que j’ai été une si bonne mère, et qu’on me délaisse comme ça ! »