Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 3.djvu/41

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chambre tout pensif, emportant avec lui dans son esprit une peinture vivante de la scène qui venait de se passer, et, comme c’est assez l’ordinaire, il se demandait vaguement ce que tout cela allait devenir.

Du reste, M. Dombey restait calme et digne, comme un homme qui ne doute pas un moment du succès. Son opinion était faite là-dessus.

Il n’avait pas l’intention d’accompagner la famille à Brighton ; mais le matin du départ, c’est-à-dire le lendemain ou le surlendemain, il informa gracieusement Cléopatre au déjeuner qu’il irait les rejoindre bientôt.

On n’avait pas de temps à perdre pour conduire Cléopatre dans un lieu qui était recommandé par les médecins, car la pauvre femme avait l’air de filer un mauvais coton, et, avant d’aller en terre, sa figure, en attendant, était déjà devenue terreuse.

Sans avoir éprouvé une seconde attaque bien positive de sa maladie, la vieille fée paraissait, dans sa convalescence, avoir beaucoup plus perdu que gagné. Elle était plus faible et plus abattue ; sa tête était plus dérangée, et il se faisait, dans son esprit et dans sa mémoire, d’étranges confusions. Parmi les symptômes de ce nouveau malaise, elle avait contracté l’habitude de confondre les noms de ses deux gendres, le mort et le vivant ; et, en général, elle appelait M. Dombey Grangebey ou Domber, et vice versa.

Mais elle était jeune, toujours aussi jeune, et, dans sa jeunesse, elle apparut au déjeuner, le jour du départ, avec un chapeau neuf fabriqué tout exprès pour la circonstance, et une robe de voyage brodée et soutachée comme une robe d’enfant, second âge. Il n’était pas facile de la coiffer avec un de ces chapeaux légers maintenant à la mode, et, quand on était parvenu à le placer sur sa pauvre tête branlante, il n’était pas facile de le fixer à sa place. Au déjeuner, par exemple, il se mit dans la tête d’être toujours tourné de côté ; il est vrai qu’il en fut bien puni par la vigilante Flowers, qui le renfonçait à tout moment avec une bonne tape sur le fond. C’est pour cela que cette perle des femmes de chambre resta derrière sa maîtresse pendant tout le repas.

« Allons, mon cher Grangebey, dit Mme Skewton, il faut positivement me prom… (elle s’arrêtait court au milieu de certains mots, quand elle ne les supprimait pas tout à fait) de venir bientôt nous voir.