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— Probablement non, madame.

— Vous savez combien il s’en faut qu’il en soit ainsi ; vous n’avez qu’à me regarder et vous lirez sur mon visage toute l’ardeur de la passion que je ressens pour vous. Tout cela était dit, sans que sa lèvre tremblât, sans que son œil noir brillât ; c’était toujours le même regard fixe et pénétrant. Vous connaissez l’histoire de ma vie. Vous parliez tout à l’heure de ma mère ; Eh bien ! qu’en dites-vous ? Pensez-vous après cela réussir à m’humilier, à me faire plier, à me rompre, moi, à la soumission, à l’obéissance ? »

M. Dombey sourit ; autant aurait valu lui demander s’il pouvait prendre dans ces coffres deux cent-cinquante mille francs : ce n’était pas plus difficile.

« S’il y a quelque chose d’extraordinaire ici, dit-elle en élevant la main vers son front, tandis que son regard restait toujours aussi calme, aussi froid, comme il y a là des pensées étranges, et elle appuya avec force sa main sur son cœur, songez à l’importance de la prière que je vais vous faire ! Oui, que je vais vous faire, » répéta-t-elle en réponse à un mouvement de physionomie de M. Dombey.

M. Dombey abaissa son menton sur sa cravate dont l’empois se froissa et craqua. Il s’assit sur un sofa qui se trouvait près de lui pour entendre la prière.

« Je vais vous dire une chose qui me semble, à moi-même, incroyable de ma part ; en y réfléchissant, vous y attacherez encore plus d’importance, quand je la dis à un homme qui est devenu mon mari, à vous surtout. »

Il crut voir des larmes briller dans ses yeux et il se disait avec complaisance que c’était lui qui les faisait couler ; et pourtant pas une ne coula jusque sur sa joue, et son regard ne perdit rien de sa fermeté.

« Eh bien ! continua-t-elle, dans cet abîme qui est devant nous, et où nous tomberons peut-être, nous ne périrons pas seuls (la perte ne serait pas grande), mais nous en entraînerons d’autres avec nous.

— D’autres ! il savait de qui elle voulait parler et il fronça sévèrement le sourcil.

— C’est pour ces autres-là que je vous parle, mais aussi pour vous et pour moi. Depuis notre mariage, vous avez été arrogant avec moi, et je vous l’ai rendu. Vous m’avez montré, à moi et à tous ceux qui nous entourent, à chaque heure du jour, que vous croyez m’avoir fait une grâce, un honneur, en