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Edith arrêta sur elle ses yeux noirs et ne répondit pas avant que Florence eût renouvelé sa prière. Alors elle lui prit la main, la passa sous son bras et lui dit en regardant toujours d’un air rêveur la nuit qui avançait :

« Dites-lui que si maintenant, il a quelque raison de me plaindre dans mon passé, je le prie de le faire. Dites-lui que si maintenant, il a quelque raison de penser à moi avec moins d’amertume, je le prie de le faire. Dites-lui que tout morts que nous sommes l’un pour l’autre et ne devant plus nous retrouver jamais que dans l’éternité, il sait qu’un même sentiment nous rapproche maintenant, un sentiment qui n’avait jamais existé auparavant entre nous. »

La froideur semblait céder, et des larmes roulaient dans ses yeux noirs.

« J’espère, dit-elle, qu’il aura pour moi plus d’indulgence, et moi pour lui. Plus il aimera sa Florence, moins il me haïra. Plus il sera fier et heureux près d’elle et de ses enfants, plus il se repentira de la part qu’il a eue dans la triste vision de notre mariage. À ce moment, je me repentirai aussi, vous pourrez le lui dire alors, et je dirai moi-même, qu’au lieu de penser exclusivement aux causes qui m’avaient faite ce que j’étais, j’aurais dû pour son excuse penser davantage aux causes qui l’avaient rendu ce qu’il était. Je tâcherai alors de lui pardonner sa part dans nos torts réciproques ; qu’il tâche aussi de me pardonner la mienne.

— Ô maman, s’écria Florence, comme mon cœur est soulagé ! Que je suis heureuse de vous entendre parler comme cela ! j’en trouverai moins amère cette rencontre et cette séparation.

— Mots étranges à mon oreille, dit Edith, et que mes lèvres ne sont pas habituées à prononcer ! Mais quand même j’eusse été la misérable créature que je lui ai donné lieu de supposer, je crois que j’aurais pu encore les dire en apprenant que vous vous aimez tous deux. Qu’il sache que c’est lorsqu’il vous aimera le plus, qu’il trouvera dans son cœur plus d’indulgence pour moi, et moi pour lui ! Voilà les dernières paroles que je lui envoie. Et maintenant, adieu, ma chère enfant ! »

Elle la serra dans ses bras et l’on eût dit que tout ce qu’elle avait dans le cœur d’amour et de tendresse débordait à la fois.

« Ce baiser pour votre enfant. Tous ceux-ci pour votre bonheur ! Ma chère Florence, ma fille chérie, adieu !