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scrupule d’avoir recours aux services de M. Carker dans l’occasion, si besoin est. »

Puis, se rehaussant dans le sentiment de sa propre grandeur, M. Dombey, plus roide et plus impénétrable que jamais, se dit à lui-même : « Maintenant elle a appris à me connaître ; elle sait ce que je veux. »

La main, qui avait comprimé si fort le bracelet, Edith la tenait étroitement serrée sur sa poitrine, mais, le regard toujours fixé sur lui et la figure impassible, elle lui dit à voix basse :

« Attendez pour l’amour de Dieu, il faut que je vous parle. »

Pourquoi ne lui parla-t-elle pas ? Pourquoi pendant quelques instants se livra-t-il dans Edith une lutte intérieure qui l’empêcha de parler ? L’expression forcée qu’elle imprima à son visage lui donnait l’air d’une statue. Ce regard ne faisait ni concession, ni résistance, il n’exprimait ni l’amour, ni l’orgueil, ni la haine, ni l’humilité, il se bornait à interroger.

« Vous ai-je jamais poussée à rechercher ma main ? Ai-je eu recours à la ruse pour faire votre conquête ? Me suis-je montré à votre égard plus sympathique quand vous me faisiez la cour que je ne l’ai été depuis notre mariage ? Enfin, m’avez-vous jamais vue différente de ce que je suis aujourd’hui pour vous ?

— Mon Dieu, madame, il est complétement inutile d’entrer dans de pareilles discussions.

— Avez-vous pensé que je vous aimais ? Ignoriez-vous que je ne vous aimais pas ? Vous êtes-vous jamais soucié de mon cœur ? avez-vous jamais pensé à si peu de chose ? A-t-il jamais été question de rien de semblable dans notre marché, d’un côté ou de l’autre ?

— Il ne s’agit point de cela du tout, madame. »

M. Dombey voulut sortir. Edith se plaça entre lui et la porte pour l’en empêcher ; elle se mit devant lui dans toute la majesté de son orgueil, et lui dit en le regardant entre les yeux :

« Vous répondez malgré vous à chacune de ces questions ; vous y répondez en vous-même avant que je ne vous les fasse. Comment en serait-il autrement, vous qui savez aussi bien que moi notre misérable marché ? Maintenant, dites-moi si je vous avais aimé jusqu’à l’adoration, pourrais-je faire plus que de vous livrer toute ma volonté, tout mon être comme vous venez de me le demander ? Si mon cœur était pur et innocent et que vous fussiez l’objet de son amour, pourriez-vous obtenir davantage ?