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— J’en suis sûre, Walter, quand vous êtes si près de moi, mais… »

La porte s’ouvrit doucement, sans qu’on eût frappé, et le cousin Feenix la fit passer de l’air doux d’une soirée d’été dans la sombre et triste demeure. Elle était plus sombre et plus triste que jamais, et l’on eût dit que, fermée depuis le jour du mariage, elle avait fait provision de tristesse et d’obscurité.

Florence monta en tremblant l’escalier obscur et s’arrêta avec son introducteur à la porte du salon. Il l’ouvrit sans parler et la pria d’un signe d’avancer dans la chambre du fond pendant qu’il resterait là. Florence, après avoir hésité un instant, s’y décida.

À la croisée, devant une table, était assise une dame qui venait, selon toute apparence, d’écrire ou de dessiner. Sa tête était tournée vers la rue, et appuyée sur sa main. Florence s’avança en hésitant, et resta tout à coup immobile comme si elle eût perdu l’usage de ses jambes. La dame tourna la tête.

« Grand Dieu ! dit-elle, qui est là ?

— Non, non, maman ! » s’écria Florence, qui recula en la voyant se lever, et étendit ses mains pour l’arrêter.

Elles se regardèrent toutes deux. La passion et l’orgueil avaient flétri le visage d’Edith, mais c’était bien elle encore, toujours belle et superbe. La terreur, l’effroi étaient peints sur le visage de Florence, mais on y lisait la pitié, la douleur, et le souvenir d’une tendre reconnaissance. Leurs deux visages exprimaient d’une manière saisissante l’étonnement et la crainte. Toutes deux étaient froides et silencieuses et se regardaient comme séparées par le sombre gouffre de l’irrévocable passé.

Florence fut la première à s’attendrir. Son cœur déborda, elle fondit en larmes et s’écria :

« Ô maman, maman ! Pourquoi faut-il nous revoir ainsi ? Vous qui avez été si bonne pour moi quand personne ne m’aimait ! Devions-nous donc nous retrouver ainsi ? »

Edith restait devant elle, muette et sans mouvement, les yeux fixés sur elle.

« Je viens de quitter mon père sur son lit de douleur, dit Florence ; c’est à peine si j’ose y songer. Nous ne nous séparerons jamais maintenant. Si vous voulez que je lui demande votre pardon, je le ferai, maman. Je suis presque sûre qu’il me l’accordera maintenant, si je le lui demande. Puisse le ciel vous l’accorder aussi et vous consoler ! »