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sif et rêveur, et chaque fois il retournait la tête sur son oreiller. Il comptait le nombre de ses enfants. Un… deux… s’arrêtait, recommençait, pour s’arrêter et recommencer toujours de la même manière.

Mais ce n’était que pendant les crises les plus violentes. Dans toutes les autres phases de sa maladie, dans son état habituel, il ne parlait que de Florence. Le plus souvent, il se rappelait cette nuit dont le souvenir lui était revenu récemment. Il s’imaginait que, dans un moment de remords, il courait après elle pour la chercher en haut. Puis, confondant cette nuit avec les jours où il avait vu tant de traces de pas, il s’étonnait du nombre des pas et les suivait à la trace, en les comptant un par un. Mais tout à coup, un pas ensanglanté se mêlait aux autres, et puis il voyait des portes ouvertes ; il apercevait, se réfléchissant dans les glaces, certaines figures terribles, des hommes aux yeux hagards qui cachaient quelque chose dans leur sein. Et puis au milieu de tous ces pas, de ces pas ensanglantés, il voyait celui de Florence. Florence passait devant, et cet esprit agité et inquiet la suivait en comptant toujours ; il allait, allait toujours plus haut, comme s’il montait au haut d’une tour si élevée, qu’il lui fallût des années pour en gravir les degrés.

Un jour il demanda si ce n’était pas Suzanne qui avait parlé il y avait déjà un peu de temps.

« Oui, cher papa, répondit Florence ; seriez-vous content de la voir ?

— Très-content, » dit-il.

Et Suzanne s’approcha de lui, non sans trembler beaucoup. Il parut heureux, la pria de ne pas s’éloigner, l’assura qu’il lui pardonnait tout ce qu’elle lui avait dit, et ajouta qu’il fallait qu’elle restât. « Florence et moi, disait-il, nous ne sommes plus comme autrefois ; nous sommes bien heureux, maintenant. Regardez ! » Et il attirait la douce figure sur son oreiller et la gardait près de lui.

Il resta ainsi bien des jours et bien des semaines. À la fin, il ne fut plus que l’ombre d’un homme ; il restait étendu sur son lit sans remuer et il parlait si bas, qu’il fallait s’approcher de ses lèvres pour l’entendre. Mais il était devenu calme, et, du fond de sa couche où il gisait étendu, il aimait, quand la croisée était ouverte, à regarder le beau ciel bleu et la verdure des arbres ; il aimait, le soir, à admirer le coucher du soleil. Ses yeux s’attachaient surtout aux ombres des nuages