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an ou deux, pensait le capitaine, et habiter dans la même maison que cette jeune fille serait l’abomination de la désolation.

La cérémonie se termina par un assaut général de la jeune famille contre M. Bunsby : ils l’appelèrent du tendre nom de père et lui demandèrent chacun un sou. Ces élans de tendresse passés, la procession allait se remettre en marche, quand elle fut arrêtée quelque temps par un éclat inattendu causé par Alexandre Mac-Stinger. Ce cher enfant mêlant apparemment, dans son esprit, l’église avec les caveaux mortuaires, dans lesquels il voyait continuellement entrer du monde, ce qui n’avait aucun rapport avec la cérémonie, ce cher enfant ne pouvait s’empêcher de croire qu’on allait enterrer bel et bien sa mère et qu’elle était à jamais perdue pour lui. Tourmenté par cette idée, il poussa un cri étourdissant, sa figure en devint noire. Quelque touchants que fussent ces témoignages de piété filiale, il n’était pas dans le caractère de cette incomparable femme de s’en émouvoir jusqu’à laisser dégénérer sa sensibilité en faiblesse. Aussi, après avoir essayé en vain de le convaincre par des bourrades, des coups de poing, des cris et autres avertissements semblables, elle l’entraîna dehors et essaya d’une autre méthode. Cette méthode parut aux invités consister tout simplement en une bonne volée de coups retentissants qui faisaient l’effet des applaudissements sonores de la claque au théâtre. Après quoi, ils virent Alexandre Mac-Stinger le derrière sur les pavés de la cour, la figure pourpre et poussant des cris horribles.

La procession put alors se reformer et se rendre à Brig-Place où le festin était prêt. Ce ne fut pas toutefois sans que Bunsby eût reçu des curieux maintes félicitations joyeuses sur son bonheur présent. Le capitaine les accompagna jusqu’à la porte de la maison ; mais les petites manières gracieuses de Mme Bokum l’inquiétaient fort ; Mme Bokum déchargée de sa tâche de surveillance (car les dames se relâchèrent sensiblement de leur vigilance quand le mariage fut conclu), avait maintenant tout le temps de témoigner au capitaine plus d’intérêt pour sa personne ; il vous planta donc tout ça là avec le captif prétextant doucement un rendez-vous et promettant de revenir tout à l’heure. Ce qui causait surtout son malaise, c’étaient ses remords d’avoir été la première cause de la capture de Bunsby, quoiqu’il n’y eût pas de sa part mauvaise intention : et puis il avait une si grande confiance dans l’habileté de ce philosophe !