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— À quoi bon ? répondit le malheureux philosophe. Elle me capturerait encore.

— Essayez ! répliqua le capitaine. Courage. Allons ! c’est le moment ! Prenez chasse, Jeannot Bunsby ! »

Jeannot Bunsby, cependant, au lieu de profiter du conseil, dit tout bas d’un ton désolé :

« Ça a commencé le jour de votre malle. Ah ! pourquoi l’ai-je ramenée au port ce soir-là ?

— Mon garçon, dit le capitaine d’une voix émue, je croyais que c’était vous qui vous étiez rendu maître d’elle et non pas elle de vous, un homme de bon conseil comme vous ! »

M. Bunsby se contenta de pousser un soupir étouffé.

« Allons ! dit le capitaine en lui donnant un coup de coude, le moment est venu ! Prenez chasse ! je couvrirai votre retraite. Le temps fuit, Bunsby, c’est pour votre liberté. Voulez-vous ? Une fois… »

Bunsby ne bougeait pas.

« Bunsby, répéta le capitaine, deux fois, voulez-vous ? »

Bunsby ne le voulut pas davantage.

« Bunsby, dit le capitaine d’un ton suppliant, c’est pour votre liberté, trois fois, voulez-vous ? C’est maintenant ou jamais ! »

Bunsby ne s’y décida ni alors, ni plus tard ; car peu d’instants après Mme Mac-Stinger l’avait épousé.

Une des circonstances les plus effrayantes de la cérémonie, aux yeux du capitaine, fut l’intérêt profond que Juliana Mac-Stinger parut y prendre et l’ardeur avec laquelle toutes les facultés de cette enfant, qui donnait les plus grandes espérances, tant elle ressemblait déjà à sa digne mère, étaient concentrées fatalement sur l’ensemble de la cérémonie. Le capitaine vit dans cette ardeur de son jeune âge une foule de sièges futurs qui se dressaient à n’en plus finir contre le sexe masculin ; une suite d’années d’oppression, de contrainte à laquelle la gent marinière était prédestinée. Juliana l’occupait plus que la roideur inflexible de Mme Bokum et de l’autre dame, que la joie du petit monsieur à grand chapeau et même que la terrible fermeté de Mme Mac-Stinger. Les petits Mac-Stinger comprenaient fort peu ce qui se passait et ne s’en souciaient guère. Tout le temps de la cérémonie, ils n’étaient occupés qu’à piétiner sur leurs brodequins respectifs ; mais le contraste que faisaient ces coquins d’enfants avec Juliana ne servait qu’à faire ressortir ses qualités précoces. Encore un