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d’un passage ou du coin d’une rue étroite, de nature à favoriser une fugue, elle était sur le qui-vive dans le cas où il tenterait de s’échapper. L’autre dame aussi, comme son mari le petit monsieur au grand chapeau, semblait exécuter une consigne en faisant bonne garde ; le pauvre homme était bien surveillé et les yeux vigilants de Mme Mac-Stinger anéantissaient par avance toute velléité de se soustraire à son bonheur. La populace qui voyait bien ce manège ne ménageait pas ses cris et ses quolibets, mais la terrible Mac-Stinger était indifférente à tout cela. Quant au pauvre Bunsby il ne paraissait pas même avoir la force de s’en apercevoir.

Le capitaine essaya plusieurs fois d’accoster le philosophe et de correspondre avec lui par des monosyllabes ou par des signaux, mais il échoua toujours, d’abord parce qu’il y avait là quelqu’un qui avait l’œil au guet, et ensuite parce que les yeux de Bunsby, qui n’était pas fait comme un autre, ne permettaient pas que son attention fût réveillée par le moindre signe extérieur. C’est ainsi qu’on arriva à la chapelle ; c’était un édifice propre et fraîchement badigeonné, récemment ouvert sous les auspices du révérend Melchisédech Howler qui avait bien voulu, sur d’instantes prières, accorder au monde encore deux ans d’existence, mais après l’avoir bien et dûment informé qu’après ces deux années, il lui faudrait absolument partir.

Pendant les improvisations du révérend Melchisédech, le capitaine trouva une occasion favorable pour transmettre de sa grosse voix dans l’oreille du marié ces mots :

« Comment va ? mon garçon, comment va ? »

À quoi Bunsby, sans faire attention à la présence du révérend Melchisédech, oubli qu’une situation aussi critique pouvait seule justifier, répondit :

« Diablement mal !

— Jeannot Bunsby, dit tout bas le capitaine, ce que vous faites là, le faites-vous en toute liberté ?

— Non, répondit Bunsby.

— Eh bien alors, pourquoi le faites-vous ? » demanda le capitaine comme de raison.

Bunsby, qui avait l’œil toujours fixé à l’autre bout du globe, ne répondit rien.

« Pourquoi ne pas prendre chasse ? fit le capitaine.

— Hein ? dit tout bas Bunsby avec une lueur d’espoir.

— Prenez chasse ! dit le capitaine.