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ter la maison. Qui l’empêchait de faire encore l’abandon de ce que ses créanciers lui avaient laissé (s’ils ne lui avaient pas laissé davantage, c’est qu’il ne l’avait pas voulu), et de briser tout simplement le lien qui le rattachait à la maison ruinée en brisant l’autre lien…

C’est à ce moment qu’il avait fait un faux pas en se promenant de long en large, et que le bruit en avait retenti jusque dans la chambre de l’ancienne femme de charge, mais on n’en sut pas la véritable cause ; quelle terreur si on avait pu s’en douter ! Le monde ne lui laissait pas de repos. Cette pensée le troubla encore ; on chuchotait, on bavardait, on ne voulait pas se taire un seul instant. Cette idée et les pas qu’il avait vu se confondre les uns dans les autres, l’ennuyaient à mourir. Les objets commencèrent à prendre à ses yeux une teinte lugubre et sanglante. Dombey-et-fils n’était plus… ses enfants n’étaient plus. « J’y penserai demain, » dit-il.

Le lendemain, il y pensa. Assis dans son fauteuil, il revit plusieurs fois dans la glace le tableau que voici :

Un spectre, les yeux hagards, les joues creuses, l’image de lui-même, était là, rêvant devant le foyer vide. Quelquefois il levait la tête pour regarder les rides et les creux de son visage, puis il la baissait encore pour réfléchir de nouveau ; d’autres fois il se levait, marchait, allait dans la pièce voisine et revenait, tenant caché dans sa poitrine quelque chose qu’il avait pris dans la toilette. Et puis, il regardait le bas de la porte et songeait.

Chut ! À quoi songeait ce spectre ?

Il songeait que, pour que le sang, en coulant par là, se répandît jusque dans le vestibule, il faudrait bien du temps. Il coulerait si lentement, si furtivement, s’arrêtant là pour couler encore et s’arrêter de nouveau, qu’il ne pourrait faire découvrir un homme blessé mortellement, que lorsqu’il serait mort ou mourant. Quand il eut pensé longtemps à cela, il se leva encore et se promena de long en large, la main dans la poitrine. Dombey regardait de temps en temps cette main et surveillait d’un œil curieux tous ses mouvements ; il trouvait à cette main fatale un air meurtrier ; et puis le spectre songeait encore. À quoi songeait-il ?

Si le sang coulait si loin, n’emporterait-on pas avec ses pieds les traces de ce sang dans la maison, au milieu de toutes ces empreintes de pas, ou même jusque dans la rue ? Le spectre était assis, les yeux fixés sur le foyer vide, et