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un gros baiser sur la joue de Polly, dans le vestibule de la maison déserte. Cette demeure abandonnée produit beaucoup d’effet sur l’esprit de Toodle.

« Que je te dise, ma bonne Polly, dit Toodle, maintenant que je suis conducteur de machines et que j’me pousse dans le monde, je n’taurais pas laissé venir mourir d’ennui ici, si ce n’était à cause des bienfaits passés. Mais il ne faut jamais oublier les bienfaits, Polly. Et puis, vois-tu, ta bonne figure fait du bien à ceux qui sont dans le malheur. Allons ! ma chère, que je t’embrasse encore un brin. Je sais ce qui te plaît le plus, c’est de faire une bonne action ; m’est avis que c’est bien de faire ça. Bonsoir, Polly ! »

Mme Pipchin apparaît sombre dans ses vêtements d’alépine noire, sous son chapeau et sous son châle noirs ; ses effets sont emballés ; et sa bergère, l’ex-bergère favorite de M. Dombey, qu’elle a eue pour rien à la vente, est déjà à la porte de la rue : elle attend une patache qu’elle a retenue, qui part ce soir pour Brighton et qui doit venir la chercher pour la conduire chez elle.

La patache arrive. On transporte les vêtements de Mme Pipchin ; puis la bergère est soigneusement placée dans un coin, sur des bottes de foin ; l’aimable dame ayant l’intention d’occuper ce siège pendant la durée du voyage. Enfin on fait passer Mme Pipchin : elle prend place dans la voiture avec sa mine refrognée. Son œil dur étincelle comme celui d’une vipère ; on dirait qu’elle pense déjà à ses rôties beurrées, à ses côtelettes chaudes, à ses victimes de petits enfants, à la pauvre Berry et à tous les autres agréables passe-temps de son château d’ogresse. Mme Pipchin va presque jusqu’à rire au moment où la patache se met en route. Elle retrousse dans la voiture sa robe d’alépine noire, et s’enfonce au milieu des coussins de sa bergère.

La maison n’est plus qu’une ruine, les rats mêmes l’ont quittée jusqu’au dernier.

Polly seule est restée dans la maison abandonnée : toute seule, car il n’y a plus de société dans ces chambres fermées où se cache le maître. Mais elle n’est pas seule longtemps. Il fait nuit, elle est assise à travailler dans la chambre de la femme de charge ; elle fait tout ce qu’elle peut pour oublier combien la maison est solitaire, pour oublier l’histoire qui s’y rattache. Tout à coup elle entend frapper à la porte de l’allée ; ce coup retentit aussi fort qu’il est possible dans une demeure entièrement vide. Elle