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« Car, dit la bonne âme, jugez de ce qu’il éprouverait s’il revoyait un des pauvres serviteurs qu’il a trompés en leur laissant croire qu’il était immensément riche ! »

La cuisinière est tellement frappée de cette considération morale, que Mme Perch la corrobore de plusieurs axiomes pieux d’un genre original et choisi. Il n’y a donc plus de doute à cet égard, il faut qu’ils partent tous. On emplit des malles, on va chercher des fiacres, et à la brune, le soir même, il ne reste plus un seul membre de la société.

La maison est toujours là, vaste et à l’épreuve de l’orage dans la longue et triste rue ; mais ce n’est plus qu’une ruine, et les rats la quittent.

Les hommes à casquettes de moquette mettent sens dessus dessous tous les meubles, et les individus armés de plumes et d’encre en font l’inventaire. Ils s’asseyent sur des meubles qui n’ont jamais dû servir de sièges ; ils mangent du pain et du fromage, apportés du restaurant, sur d’autres meubles qui n’ont pas été faits pour qu’on mange dessus ; enfin, ils semblent faire exprès de dénaturer la destination des meubles les plus précieux pour les employer aux usages les plus antipathiques. C’est un vrai chaos. Les matelas et la literie se voient dans la salle à manger ; les cristaux et les porcelaines dans la serre. Le grand service de table est étalé pêle-mêle sur le beau divan du grand salon. Les fils de fer du treillage de l’escalier, formés en faisceaux, décorent les cheminées de marbre. Enfin un tapis, recouvert d’une grande pancarte imprimée, est suspendu au balcon et le même ornement figure aux deux côtés de la porte.

Pendant toute la journée, il y a dans la rue une queue interminable de vieux cabriolets et de tapissières ; et des troupeaux de vampires aux habits râpés, juifs et chrétiens, envahissent la maison, frappent du doigt les glaces pour en reconnaître la force, font sur le piano à queue des accords faux et dissonants, promènent leurs doigts mouillés sur les tableaux, ternissent de leur haleine les lames des meilleurs couteaux de table, donnent, de leurs mains sales, d’énormes coups de poing dans les fauteuils et dans les sofas moelleux, secouent les lits de plume, ouvrent et ferment tous les tiroirs, pèsent les cuillers et les fourchettes d’argent, examinent jusqu’à la trame des draps et du linge et ne manquent pas de déprécier tout. Il n’y a pas dans la maison une seule place qui ne soit fouillée. Des fumeurs et des priseurs regardent curieusement dans les