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« Quoi qu’il arrive, soutenons-nous tous, Towlinson, car nous ne savons pas si nous serons longtemps ensemble ; nous avons vu, dans cette maison, un enterrement, un mariage, un enlèvement : qu’il ne soit pas dit que dans des circonstances aussi pénibles nous n’avons pas même su nous entendre. »

Mme Perch se trouve pénétrée par ces paroles touchantes, et n’hésite pas à déclarer que la cuisinière est un ange. M. Towlinson répond à la cuisinière qu’il n’entend pas rester en arrière d’aussi beaux sentiments qu’il voudrait voir partout : il sort pour aller chercher la bonne et revient avec la jeune femme au bras : il dit à la cuisine que l’histoire des étrangers n’est de sa part qu’une pure plaisanterie, et qu’Anna et lui sont résolus à se prendre l’un l’autre, vaille que vaille, et de s’établir à Oxford-Market pour tenir une boutique de fruitière herboriste avec un dépôt de sangsues ; puis s’adressant à tous en général :

« Nous vous prions, ajouta-t-il, de nous donner la préférence. »

Cette nouvelle est reçue avec acclamation, et Mme Perch, qui se lance dans les prophéties, dit tout bas et d’un ton mystérieux à la cuisinière :

« Ils n’auront jamais que des filles. »

Pour les gens de la cuisine, un malheur dans la famille ne saurait aller sans régalade. Aussi la cuisinière fait sauter sur le feu un plat ou deux pour le souper, et M. Towlinson arrange une salade de homards sous l’inspiration des mêmes sentiments charitables. Jusqu’à Mme Pipchin qui, elle aussi, est bouleversée par la circonstance : elle sonne pour demander en bas qu’on lui monte, pour son souper, un petit restant de ris de veau réchauffé avec le quart d’un grand verre de vin chaud ; car elle ne se sent pas bien.

On parle un peu de M. Dombey, mais très-peu. On se demande surtout s’il y a bien longtemps qu’il a prévu le malheur. La cuisinière répond d’un air rusé :

« Oh ! il y a bien longtemps ; j’en mettrais ma main au feu. »

On consulte M. Perch qui corrobore l’avis de la cuisinière. On se demande ce qu’il fera, s’il reprendra un autre établissement. M. Towlinson pense que non ; il fait entendre qu’il se réfugiera dans un de ces hospices comme il faut.

« Ah ! oui, dit la cuisinière d’un ton de commisération, au moins il aura là son petit berceau pour faire monter des pois de senteur au printemps.