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là tout. J’ai découvert tout cela un jour d’été que j’ai voulu, dans le comté de Warwick, savoir qui elle était, avec les tenants et les aboutissants. Ces parentés-là ne me servaient de rien alors. On m’aurait désavouée, et on n’avait rien à me donner. Si ce n’eût été pour ma fille, je leur aurais peut-être demandé un peu d’argent, dans la suite ; mais Alice aurait été capable de me tuer, je crois, si je l’avais fait. Car, elle aussi, elle n’était pas moins fière que l’autre dans son genre, dit la vieille qui approcha sa main tremblante de la figure de sa fille et la retira aussitôt ; on ne le dirait pas, maintenant qu’elle est si calme, mais c’est égal, elle les éclipsera encore par sa bonne mine. Ha ! ha ! ma fille, ma belle fille, certainement qu’elle les éclipsera encore. »

En se retirant dans l’autre pièce, son rire était plus effrayant que son cri ; plus terrible que les paroles incohérentes de désespoir par lesquelles elle termina ; plus triste que l’air égaré qu’elle reprit en s’asseyant à la fenêtre pour regarder dans la rue sombre.

Les yeux d’Alice, pendant tout ce temps, étaient restés fixés sur Henriette, dont elle n’avait pas quitté la main. Elle lui dit alors :

« Étendue sur mon lit de douleur, il m’a semblé que je serais heureuse de vous dire tout cela. Je pensais que vous y trouveriez peut-être l’explication de mon insensibilité. Je m’étais tant de fois entendu reprocher, dans ma vie de déshonneur, d’avoir manqué à mon devoir, que je finis par croire aussi que l’on n’avait pas non plus rempli ses devoirs envers moi, et que l’on avait récolté ce que l’on avait semé. Je compris que, lorsque les jeunes personnes dans le monde ont une mauvaise éducation domestique, une mauvaise mère, elles tournaient mal, mais que leur malheur n’était pas à beaucoup près comparable au mien, et qu’elles devaient en remercier le bon Dieu. Tout cela est bien loin maintenant. C’est pour moi comme un rêve que je ne puis plus ni me rappeler complètement ni comprendre. C’est devenu, chaque jour, de plus en plus un rêve, depuis que vous êtes venue près de moi me faire la lecture. Je ne peux vous en dire que ce que je m’en rappelle. Voulez-vous me faire encore une petite lecture ? »

Henriette retirait sa main pour ouvrir le livre, mais Alice la retint un moment.

« Vous n’oublierez pas ma mère, n’est-ce pas ? Je lui pardonne, moi, tout ce que j’ai à lui reprocher. Je sais qu’elle