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restés étrangers l’un pour l’autre ; il l’avait toujours trouvée sur son chemin, toujours et partout. En ce moment même elle était liguée contre lui. Sa beauté lui servait à attendrir des cœurs qui étaient de marbre pour lui, et semblait l’insulter par ce triomphe impie.

Peut-être au milieu de toutes ces pensées y avait-il, au fond de son cœur, comme le murmure d’un sentiment nouveau. En songeant aux inconvénients de sa position présente il se demandait, dans son égoïsme, si sa vie n’aurait pas été plus heureuse entourée des soins affectueux de sa fille. Mais il faisait taire, sous les flots bruyants de son orgueil, le grondement de ce tonnerre lointain. Il n’avait d’oreilles que pour son orgueil ; et cet orgueil, sujet incessant de ses luttes avec lui-même, de trouble sans fin, de torture volontaire, ne lui inspirait pour elle que de la haine.

À ce démon chagrin, opiniâtre et sombre dont il était possédé, sa femme opposait son orgueil, à elle, dans toute la force de sa jeunesse. Jamais ils n’auraient pu être heureux ensemble ; mais rien au monde ne pouvait rendre leur vie plus malheureuse que la lutte obstinée et résolue qu’ils se livraient tous deux. Le caractère de l’orgueil de M. Dombey était de maintenir sa suprématie superbe, et de forcer Edith à la reconnaître. Pour elle, elle se serait fait tuer plutôt que de céder, et, à son dernier soupir, son regard hautain ne lui aurait témoigné que le plus froid, le plus inflexible mépris. Voilà donc la reconnaissance qu’il en avait espérée ! Car il ne savait pas quels combats elle s’était livrée à elle-même, quels orages avaient soulevé son cœur avant qu’elle se décidât à l’honneur insigne de porter son nom ! Il ne savait pas quelle concession elle croyait lui avoir faite en lui permettant de l’appeler sa femme !

M. Dombey était résolu à lui faire voir qu’il était le maître ; que tout devait courber devant sa volonté. Il était bien aise qu’elle fût orgueilleuse, mais il voulait qu’elle le fût de concert avec lui et non pas contre lui. Tandis qu’assis tout seul, sa colère s’animait contre elle, souvent il l’entendait sortir et rentrer, mener avec insouciance la vie agitée de Londres, sans s’inquiéter du plaisir ou du déplaisir de son mari, sans se demander s’il était satisfait ou mécontent ; non, pas plus que s’il eût été son groom. La suprême et froide indifférence d’Edith, cette usurpation de son propre privilége le blessait plus profondément que tout le reste, et il se décida à la faire plier sous sa volonté puissante et majestueuse.