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conclusion d’une noble histoire par l’intervention de mes humbles conseils. Il ne me reste qu’à me prosterner devant votre généreuse résolution, inspirée par des sentiments plus nobles et plus purs que tout ce que le monde m’a appris jusqu’ici. Je vous dirai seulement que vous aurez en moi un intermédiaire fidèle. Après le vôtre, c’est le rôle le plus beau que je puisse envier. »

Elle le remercia du fond du cœur et lui dit adieu.

« Rentrez-vous chez vous ? lui dit-il. Permettez-moi de vous accompagner.

— Non, pas ce soir. Je ne rentre pas encore, j’ai une visite que je dois faire seule. Voulez-vous venir demain ?

— Oui, oui, dit-il, j’irai vous voir demain. D’ici-là, je réfléchirai à ce qu’il y aura de mieux à faire. Et peut-être y penserez-vous aussi, miss Henriette, et… et… penserez-vous un peu à moi, par la même occasion »

Il l’accompagna jusqu’à la voiture qui l’attendait à la porte, et si sa propriétaire n’eût pas été sourde, elle aurait pu l’entendre quand il remonta l’escalier, après le départ de la voiture, marmotter entre ses dents :

« Nous ne sommes que des bêtes d’habitude, mais, ma foi, c’est une triste habitude que d’être vieux garçon, »

Le violoncelle était toujours étendu sur le canapé entre les deux chaises vides ; il le prit et joua longtemps, bien longtemps d’un air distrait, en secouant lentement la tête devant la chaise d’Henriette. Les sons qu’il tira de son instrument, quoique terriblement tendres et sympathiques, n’étaient rien auprès de l’expression qu’il donnait à son visage en regardant la chaise vide. L’émotion qu’il ressentait était si vraie que, plus d’une fois, il fut obligé d’avoir recours au remède du capitaine Cuttle et de passer sur sa joue la manche de son habit. Peu à peu cependant, le violoncelle, d’accord avec l’état de son âme, fit entendre l’air mélodieux du Forgeron harmonieux. Il le joua et le rejoua tant de fois, que son visage vermeil et serein avait pris l’éclat enflammé du métal sur l’enclume d’un vrai forgeron. Enfin, pour tout dire, le violoncelle et la chaise vide tinrent compagnie au célibataire jusqu’au milieu de la nuit. Quand il se mit à table pour souper, le violoncelle posé debout sur un coin du canapé, tout résonnant encore des mélodies d’un atelier complet de forgerons harmonieux, semblait lancer à la chaise vide des regards d’intelligence d’une expression indicible.