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Le violoncelle reposait doucement sur le canapé entre eux deux.

« Vous ne serez pas étonnée que je sois venue seule ou que je n’aie pas prévenu John de ma visite, dit Henriette, quand je vous dirai pourquoi je suis ici. Puis-je m’expliquer maintenant ?

— Certainement.

— Vous n’étiez pas occupé ? »

Il montra du doigt le violoncelle couché sur le sofa, en disant : « J’ai travaillé toute la journée, voici mon témoin. Je l’ai pris pour confident de toutes mes peines. Plût à Dieu que je n’eusse que les miennes à lui raconter.

— La maison est-elle décidément ruinée ?

— Oui ; tout à fait.

— Ne se relèvera-t-elle jamais ?

— Jamais. »

L’expression de bonheur qui illuminait son visage ne changea pas, pendant que ses lèvres répétaient tout bas le mot : « Jamais ! » M. Morfin le remarqua avec une surprise involontaire et redit encore :

« Non, jamais ! Vous vous souvenez de ce que je vous ai dit. Il a été tout à fait impossible de le convaincre ; impossible de raisonner avec lui, impossible même quelquefois de l’approcher. Tout a été au plus mal. La maison s’est écroulée pour ne se relever jamais !

— Et M. Dombey, est-il ruiné personnellement ?

— Oui.

— Ne lui restera-t-il rien, absolument rien ? »

Son empressement en faisant cette question, son regard presque joyeux le surprenaient de plus en plus ; il était désappointé, et cette gaieté n’était pas en accord avec ses propres émotions. Il tambourina d’une main sur la table, en regardant Henriette d’un air pensif et, secouant la tête, lui dit, après un moment de silence :

« Je ne sais pas au juste l’étendue des ressources de M. Dombey : bien qu’elles soient très-grandes, je n’en doute pas, les obligations qu’il a contractées sont considérables. C’est un homme loyal et intègre. Un autre, à sa place, aurait pu se tirer d’embarras, et beaucoup l’auraient fait, en signant un concordat qui aurait accru d’une manière presque insignifiante les pertes des créanciers et lui aurait laissé, à lui, de quoi vivre. Mais il a résolu de donner jusqu’à son dernier sou.