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— Oh non ! je suis sûre que vous ne m’en voudrez pas. Ma bonne petite chérie, n’est-ce pas que vous ne m’en voudrez pas ? s’écrie Suzanne ; voici le capitaine aussi, votre ami le capitaine, vous savez, qui vient vous dire encore un petit adieu !

« Hourra ! Délices du cœur ! crie la grosse voix du capitaine, qui paraît en proie à une vive émotion. Hourra ! Walter, mon garçon ! »

Le jeune époux était à une portière, la jeune mariée à l’autre ; le capitaine était suspendu à la première, Suzanne avait empoigné solidement la seconde ; la voiture marchait toujours, bon gré, mal gré ; les charrettes et les autres voitures étaient entravées dans leur course par cette voiture qui ne savait si elle devait avancer ou non. Jamais on ne vit pareille confusion à quatre roues.

Mais Suzanne Nipper remplit vaillamment le devoir qu’elle s’est imposée. Elle conserve une mine souriante devant sa maîtresse, elle rit à travers ses larmes jusqu’à la fin. Même quand elle en est descendue, le capitaine continue à paraître et à disparaître à la portière en criant : « Hourra, mon garçon ! hourra ! Délices du cœur ! » Son col de chemise est en proie à une agitation violente, jusqu’au moment où il n’y a plus d’espoir de pouvoir soutenir la lutte avec la voiture. Enfin, quand elle a disparu, Suzanne Nipper, que le capitaine vient retrouver, tombe en syncope ; on la transporte dans la boutique d’un boulanger pour lui faire reprendre ses sens.

L’oncle Sol et M. Toots attendent patiemment dans le cimetière de l’église, assis près des grilles sur les marches, le retour du capitaine Cuttle et de Suzanne. Personne n’a envie de parler, personne n’a envie qu’on lui parle : on n’a jamais vu compagnie qui fût mieux d’accord. Ils retournent chez le petit Aspirant de marine, se mettent à table pour déjeuner, sans que personne puisse avaler une bouchée. Le capitaine Cuttle a l’air de vouloir dévorer son pain grillé, mais ce n’est qu’une frime. M. Toots, après le déjeuner, dit qu’il reviendra dans la soirée, et va se promener toute la journée par la ville, avec l’idée vague qu’il ne s’est pas couché depuis quinze jours.

Il y a comme un sort jeté sur la maison, sur la pièce dans laquelle ils avaient l’habitude de se réunir et qui vient de faire une si grande perte. Ce sort enchanté rend à la fois plus pénible et moins dure la douleur de la séparation. M. Toots dit