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et qu’on leur fait toutes les concessions possibles ; mais la résistance et la discussion de leurs prétentions exorbitantes ne contribuent pas moins à exalter leur vanité. L’ivraie que la nature a semé dans ce champ-là grandit et pousse toujours, également nourrie par les sucs contraires : tout lui est bon, l’absinthe ou le miel, les douceurs ou les amers. Qu’on s’humilie devant lui, ou qu’on se refuse à reconnaître sa puissance, l’orgueil enchaîne toujours le cœur dans lequel il s’est dressé un trône ; qu’on l’adore ou qu’on le repousse, c’est toujours votre maître ; un maître aussi impitoyable que Satan dans les sombres légendes.

À l’égard de sa première femme, M. Dombey avait gardé, dans sa froide et hautaine arrogance, le rôle d’être supérieur qu’il se croyait dû. Il avait été M. Dombey pour elle, la première fois qu’elle l’avait vu, et il était encore pour elle M. Dombey, le jour de sa mort. Pendant tout le temps qu’avait duré leur union, il avait maintenu fièrement sa puissance, comme elle l’avait reconnue humblement. Il s’était élevé bien haut sur son trône, comme elle avait pris une place modeste aux dernières marches : il s’était complu à caresser toujours sa seule et unique pensée de domination. Il s’était figuré que le caractère plein de fierté de sa seconde femme, en se mêlant au sien, aurait ajouté à son orgueil et exalté sa puissance. Il s’était figuré pouvoir devenir encore plus hautain, quand il aurait ajouté à son orgueil l’orgueil d’Edith. Vaincu, il ne lui était jamais venu dans l’idée que celui de sa femme pourrait lutter contre le sien ; et maintenant qu’il le voyait se dresser sur sa route, à chaque pas, à chaque mouvement qu’il faisait, arrêtant sur lui son regard froid, plein de défi et de dédain, son orgueil à lui, au lieu de diminuer, de se courber sous le coup, se développait davantage, devenait plus ferme, plus violent, et en même temps plus triste, plus sombre, plus insupportable et plus inflexible qu’auparavant.

Celui qui revêt cette cuirasse d’airain, subit les conséquences du lourd fardeau qu’il s’impose. Il ne se laisse pénétrer ni par les sentiments d’amitié, d’amour, de confiance, ni par l’affection, ni par les douces émotions que procure la vie intime ; mais, qu’on porte un coup à son amour-propre, il sentira la blessure comme la poitrine nue tressaille sous l’acier ; son cœur envenimé deviendra la proie d’un ulcère rongeur que ne peut adoucir la main même de l’orgueil triomphant, quand il a jeté à ses pieds son rival désarmé.