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— Quoique j’aie appris d’elle quelque chose des événements survenus ici, reprit l’opticien en tirant de sa poche ses lunettes qu’il plaça sur son front comme autrefois, tout cela est si grave, si extraordinaire, je suis si ému par la vue de mon cher garçon et de… Il regarda Florence qui baissait les yeux et sans chercher à finir sa phrase il reprit : je suis si ému que… que je ne pourrai pas dire grand’chose ce soir. Mais, mon cher Cuttle, pourquoi ne m’avoir pas écrit ? »

Les traits du capitaine exprimèrent une telle surprise, que M. Toots en fut positivement effrayé. Il le regardait fixement sans pouvoir détourner les yeux de son visage.

« Écrit ! répéta le capitaine, écrit, Sol Gills !

— Mais oui, dit le vieillard, ne pouviez-vous pas m’écrire, soit à la Barbade, soit à la Jamaïque, soit à Démérary, puisque je vous en avais prié.

— Vous m’en aviez prié, Sol Gills ! répéta le capitaine.

— Mais oui, dit le vieillard ; ne le savez-vous pas, Édouard ? Vous ne pouvez l’avoir oublié ? Je n’y ai pas manqué chaque fois que je vous ai écrit. »

Le capitaine ôta son chapeau de toile cirée, le suspendit à son croc et avec sa main il ramena ses cheveux par devant et regarda les spectateurs : il offrait l’image frappante de la surprise la plus résignée.

« Vous avez l’air de ne pas me comprendre, Édouard ! dit le vieux Sol.

— Sol Gills ! fit le capitaine en le regardant fixement ainsi que tous les assistants,… et après quelques moments de silence il reprit enfin : Je suis à la dérive. Dites-nous un mot ou deux de ces aventures. Je ne puis m’expliquer comment tout cela s’est fait. Et le capitaine de ruminer en lui-même et de regarder tout autour de lui.

— Vous savez, Ned, dit Sol Gills, pourquoi je suis parti d’ici. Avez-vous ouvert mon paquet, Ned ?

— Que oui, que oui, je l’ai ouvert !

— Et lu ?

— Et lu, répondit le capitaine qui le regardait attentivement et qui s’apprêtait à citer quelque chose de mémoire ; certainement je l’ai lu, à preuve que vous y disiez : « Mon cher Ned Cuttle, quand j’ai quitté la maison pour aller dans les Indes chercher des nouvelles de mon cher… » que voilà, dit le capitaine comme se sentant soulagé de pouvoir produire un témoin aussi réel et aussi irrécusable.