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soir-là tant de mouvement au dehors, et prit tant d’exercice avant d’aller se coucher. Ce n’était pas cependant son habitude ; heureusement la soirée se passait ordinairement d’une manière plus satisfaisante pour lui. Il jouait au cribbage avec le capitaine, aidé par les conseils de miss Nipper. Il trouvait dans les calculs du jeu une distraction à ses peines qui lui faisait perdre complètement le fil de ses idées.

C’était la figure du capitaine qu’il fallait voir dans ces occasions ! Sa physionomie avait à chaque instant une expression nouvelle et variée. Sa délicatesse instinctive et sa galanterie chevaleresque à l’égard de Florence lui disaient que ce n’était pas là le moment de se livrer à une gaieté folle, ni de montrer une satisfaction trop bruyante. Puis de vagues réminiscences de la Belle-Suzon cherchaient sans cesse à se faire jour et poussaient le capitaine à se compromettre par quelques manifestations irréparables. Tantôt son admiration pour Florence et Walter, couple bien assorti vraiment, plein de grâce et d’intérêt par leur jeunesse, leur amour, leurs bonnes physionomies, pendant qu’ils étaient assis l’écart, s’emparait tellement de lui, qu’il jetait là les cartes, pour les regarder, épongeant son front avec son mouchoir de poche, jusqu’au moment où, averti par la fuite soudaine de M. Toots, il se reprochait intérieurement d’avoir causé de la peine à ce pauvre garçon. Cette réflexion rendait le capitaine profondément mélancolique jusqu’au retour de M. Toots. Il reprenait alors ses cartes, en clignant de l’œil de côté et faisant de petits signes polis avec son croc à miss Nipper pour l’assurer qu’il ne recommencerait plus. Mais c’était bien autre chose. Pendant qu’il cherchait à faire disparaître toute expression de son visage, il regardait autour de la chambre avec un air qui les résumait toutes : ses sentiments et sa raison se livraient bataille sur son visage, jusqu’à ce que tout cela finît par une expression décidée de profonde admiration pour Florence et pour Walter : cette expression là dominait toutes les autres et ne disparaissait jamais, à moins que M. Toots ne s’élançât une seconde fois dehors, ce qui faisait prendre au capitaine l’air d’un coupable repentant jusqu’au retour de M. Toots. Quelquefois il s’interpellait à voix basse d’un ton de reproche. « Allons ! tiens bon ! » se disait-il ; ou bien : « Allons ! Édouard Cuttle, mon garçon ! attention ! pas de bêtises ! »

Cependant une des épreuves les plus pénibles de M. Toots fut celle qu’il s’imposa lui-même. À l’approche du dimanche,