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côté d’elle avec le zèle réuni de cinquante couturières. Il serait trop long d’énumérer les singuliers articles que le capitaine Cuttle aurait ajoutés au trousseau, si on l’avait laissé faire, tels qu’ombrelles roses, bas de soie chinés, bottines bleues et mille autres choses indispensables à bord. On l’amena cependant, après plusieurs observations ingénieuses, à limiter ses cadeaux à une boîte à ouvrage et à un nécessaire de voyage. Mais il se dédommagea en choisissant le plus grand modèle de chacun de ces objets que l’on pût trouver. Pendant dix ou douze jours il resta assis, la plupart du temps, occupé à les regarder. Il était partagé entre une profonde admiration et des doutes désolants sur leur peu de valeur, et tout à coup il s’élançait dans la rue pour aller faire l’emplette de quelque article extraordinaire qu’il jugeait nécessaire d’ajouter à son présent. Mais son coup de maître fut d’emporter subitement un matin les deux boîtes et d’y faire graver les deux mots Florence Gay sur un cœur de cuivre incrusté dans le couvercle de chacune d’elles. Après quoi, il se retira pour fumer successivement quatre pipes dans la petite salle à manger, et au bout de plusieurs heures, on le surprit riant encore aux éclats de son heureuse idée.

Walter était en course toute la journée, mais il venait chaque matin voir Florence et passait la soirée avec elle. Florence ne quittait jamais sa chambre du haut que pour se glisser en bas à sa rencontre, quand c’était l’heure de son arrivée ; ou bien appuyée sur le bras si fier de la soutenir, elle l’accompagnait jusqu’à la porte et quelquefois le suivait des yeux dans la rue ; le soir, ils étaient toujours ensemble. Ô heureux instants !… Ô calme plein de douceur pour ce cœur abandonné ! Source puissante, inépuisable de profond amour dans cette âme qui avait tant souffert !

La marque cruelle était encore sur son sein. Quand elle respirait, sa poitrine soulevait encore cette trace accusatrice contre son père, et quand son amant la serrait dans ses bras, la trace était entre elle et lui : mais elle n’y pensait plus lorsqu’elle sentait battre le cœur de Walter contre le sien, lorsque le sien battait contre celui de Walter ; il n’y avait plus de son discordant pour troubler cette musique céleste qui faisait taire le bruit et le souvenir des cœurs sans amour. Florence était frêle et délicate, mais elle avait une force de tendresse assez grande pour lui permettre de créer un monde où elle pût se réfugier, se reposer loin de l’image de son père.