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puis ni ne veux souffrir que vous alliez au bout du monde toute seule.

— Toute seule, Suzanne ? répondit Florence. Seule ? quand Walter m’emmène avec lui ! »

Quel sourire illumina son visage ! qu’il peignait bien la surprise et le ravissement ! J’aurais voulu que Walter la vît.

« Vous ne direz rien à Walter, n’est-ce pas ma chère Suzanne, si je vous en prie ? dit Florence d’un ton plein de tendresse. Je vous en prie, Suzanne, ne lui en parlez pas.

— Pourquoi pas ? miss Florence, dit Suzanne en sanglotant.

— Parce que, dit Florence, je vais devenir sa femme, pour lui donner mon cœur tout entier et pour vivre et mourir avec lui. Il pourrait croire, si vous lui disiez ce que vous m’avez dit, que je redoute l’avenir ou que vous avez quelque raison de craindre pour moi. Oh ! ma chère Suzanne, si vous saviez comme je l’aime ! »

Miss Nipper fut si touchée par la douce exaltation de ces deux mots, par la sincérité si simple, si tendre et si entraînante qu’ils révélaient et qui faisaient briller d’un éclat plus pur que jamais cette gracieuse figure, qu’elle ne put que la serrer encore dans ses bras, et redire en pleurant :

« C’est donc bien vrai, bien vrai que ma jeune maîtresse va se marier ! »

Et elle la plaignait, la caressait et la protégeait comme elle l’avait fait d’abord.

Mais Nipper, bien qu’elle eût quelque chose de la faiblesse de son sexe, était cependant aussi capable de se contraindre qu’elle l’avait été d’attaquer la redoutable Mme Mac-Stinger. À partir de ce moment, elle ne revint jamais sur ce sujet, mais elle fut toujours gaie, active, et pleine d’espérance. Elle informa M. Toots en particulier qu’elle prenait le dessus pour le moment, mais que, lorsque tout serait terminé et que miss Dombey serait partie, on pouvait bien s’attendre à la voir dans un état désespéré. M. Toots répondit qu’il était tout à fait dans le même cas, et qu’ils pourraient confondre leurs larmes ensemble : mais jamais Suzanne ne découvrait le fond de sa pensée ni devant Florence ni dans la juridiction du petit Aspirant de marine.

Quelque simple que fût la toilette de Florence (quel contraste avec celle qu’elle portait le jour du mariage d’Edith !) il y avait cependant fort à faire pour qu’elle fût prête à temps, et Suzanne Nipper travaillait avec acharnement tout le jour à