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Ce qui préoccupait le plus le capitaine, c’était de savoir ce qu’il aurait à faire dans le cas où il n’entendrait plus parler, soit des Mac-Stinger, soit de Bunsby ; car, au milieu d’événements si extraordinaires et si imprévus, qui pouvait dire que cela n’arriverait pas ainsi ?

Il se fit ces questions tant de fois qu’il en fut fatigué ; et pourtant pas de Bunsby. Il fit donc son lit sous le comptoir, tout prêt à le recevoir : toujours pas de Bunsby. À la fin, quand le capitaine, ayant perdu tout espoir pour ce soir-là du moins, commençait déjà à se déshabiller, il entendit le roulement d’une voiture qui s’approchait ; bientôt elle s’arrêta à la porte et la voix de Bunsby le hêla.

Le capitaine tremblait à l’idée que l’on n’avait pas pu se débarrasser de Mme Mac-Stinger, et qu’elle revenait dans la voiture.

Mais non ; Bunsby, pour toute compagne, n’avait qu’une grande boîte qu’il hala de ses propres mains dans la boutique ; et quand il l’eut halée à bord, il s’assit. Le capitaine la reconnut pour la caisse qu’il avait laissée chez Mme Mac-Stinger. Il prit la chandelle et regardant Bunsby attentivement, il crut s’apercevoir qu’il chassait sur son ancre ou, en propres termes, qu’il était ivre. Il était cependant difficile de se rendre compte de son état, car si l’amiral, quand il était en goguette, avait la figure stupide, il n’avait pas non plus la moindre expression quand il était à jeun.

« Cuttle, dit l’amiral, en tirant la boîte dont il enleva le couvercle, sont-ce là vos affaires ? »

Le capitaine regarda dans l’intérieur de la boite et reconnut son bien.

« Ça a été mené rondement, hein, camarade ? » dit Bunsby.

Le capitaine, dans sa reconnaissance et son étonnement, le saisit par la main. Il allait se lancer dans une réponse expressive pour peindre son ébahissement, quand Bunsby se dégagea de son étreinte, en secouant son poignet et fit un effort pour cligner de l’œil, mais, dans l’état où il était, c’est un effort qui pensa lui coûter cher : il y perdit presque l’équilibre. Il ouvrit donc brusquement la porte et partit comme une bombe pour aller rejoindre en toute hâte la Prudente Clara. C’est ainsi qu’il se retirait toujours, à ce qu’il paraît, chaque fois qu’il était sorti de quelque entreprise à son honneur, ou qu’il avait, dans son langage de loup de mer, garni de ris les garcettes.