Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 3.djvu/268

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Quel jour sommes-nous donc aujourd’hui, demanda-t-il au garçon d’hôtel qui allait lui servir son dîner ?

— Quel jour nous sommes, monsieur ?

— N’est-ce pas mercredi ?

— Mercredi ? Oh non ! monsieur ! C’est aujourd’hui jeudi.

— J’avais oublié ? Comme le temps marche ! Ma montre n’est pas remontée.

— Il est cinq heures moins quelques minutes, monsieur. Monsieur a sans doute voyagé longtemps.

— Oui.

— Par le chemin de fer, monsieur ?

— Oui.

— Ça trouble beaucoup les idées, monsieur. Ce n’est pas que j’aie l’habitude de voyager beaucoup par le chemin de fer moi-même. Mais je l’entends dire généralement aux voyageurs,

— Est-ce qu’il vient beaucoup de monde ici ?

— Assez comme ça, monsieur, d’habitude. Il n’y a personne en ce moment. Ça va mal en ce moment. Tout va mal, monsieur. »

Il ne répondit pas ; mais il s’était assis sur le sofa où il s’était étendu d’abord. Penché en avant, un bras sur chaque genou, il regardait par terre. Son attention ne pouvait se fixer une minute ; elle flottait de droite et de gauche, mais sans jamais, fût-ce pour un moment, s’oublier dans le sommeil.

Il eut beau boire beaucoup de vin après le dîner, tout fut inutile. Rien ne pouvait lui procurer le sommeil ; ses pensées plus incohérentes que jamais l’entraînaient à leur gré : on eût dit un criminel condamné pour ses forfaits à être traîné à la queue d’un cheval sauvage, sans trêve ni repos.

Il savait moins que personne combien de temps il était resté là à boire et à rêver, entraîné par son imagination tantôt dans une direction, tantôt dans une autre. Il s’aperçut seulement qu’il était resté longtemps assis à la lueur de la bougie, quand il se releva pour écouter, en proie à une terreur soudaine. Cette fois ce n’était plus l’effet de son imagination, le sol tremblait, la maison était ébranlée et le grondement sourd retentissait dans l’air. Il le sentit monter et passer près de lui comme un trait. Il s’élance vers la croisée, regarde, reconnaît la cause de son trouble et recule, comme s’il y avait du danger même à regarder.

Malédiction à ce démon infernal qui glisse à sa suite, portant le tonnerre avec lui, qui marque son passage à travers la