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pagne éloignée qu’il connaissait pour y rester tranquille en attendant les renseignements, avant de prendre un parti. Toujours en proie au même trouble, il se souvint d’une certaine station du chemin de fer où se trouvait l’embranchement qui devait le conduire à sa destination : il y avait là une auberge retirée ; il résolut de s’y arrêter pour prendre un peu de repos.

Il se jette donc au plus tôt dans un wagon et là, enveloppé dans son manteau comme s’il était endormi, il fut bientôt emporté loin de la mer dans les vertes campagnes. Arrivé à la station, il examina soigneusement les lieux. Il ne s’était pas trompé dans ses souvenirs. C’était un endroit retiré, sur la lisière d’un petit bois. Il n’y avait là qu’une maison, nouvellement bâtie ou du moins appropriée à son nouvel usage ; elle était entourée d’un petit jardin, propre et bien tenue ; la petite ville la plus proche en était éloignée de quelques milles. Ce fut là qu’il descendit et, allant droit à l’auberge sans être remarqué par personne, il se procura au premier étage deux chambres qui se communiquaient et qui n’étaient pas trop en vue.

Son but était de se reposer, de recouvrer son empire sur lui-même, de rétablir l’équilibre dans ses idées : car la honte de sa triste campagne, et sa rage furieuse qui lui faisait grincer les dents, en se promenant dans sa chambre, le possédaient encore tout entier. Ses pensées qu’il ne pouvait ni diriger ni arrêter, erraient à leur gré et l’emportaient où elles voulaient. Il était stupéfié, terrassé par un chagrin mortel.

Mais il semblait qu’il fût condamné à n’avoir point de repos, car ses sens engourdis n’avaient pas perdu toute conscience. Il n’en était pas plus maître sous ce rapport que s’ils eussent appartenu à un autre. Ce n’était pas que ses sens l’obligeassent à s’occuper des objets et des bruits environnants, mais ils ne le laissaient pas oublier ce vif panorama de son voyage. Il le voyait toujours devant lui. Il revoyait Edith avec son regard dédaigneux fixé sur lui ; et lui, il allait toujours à travers les villes, à travers les campagnes, à la lumière du soleil, dans les ténèbres de la nuit, par la pluie, par le beau temps, sur la terre, sur les cailloux, sur les hauteurs des montagnes, dans les profondeurs des vallées, tantôt sur la crête des collines, tantôt sur le bord des précipices, fatigué et épouvanté à la fois par le tintement des grelots, le bruit des roues et le piétinement des chevaux : sans trêve ni repos.