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— Chut ! Écoutez !

— Quoi ?

— Ce bruit !

— Te tiendras-tu tranquille, satané brigand ? dit le postillon à un cheval qui secouait ses grelots. Quel bruit, monsieur ?

— Derrière nous, n’y a-t-il pas une voiture lancée au galop ? Écoutez ! Qu’est-ce que ce bruit ?

— Eh ! toi, là-bas, rosse ! la paix donc ! dit le postillon s’adressant à un autre cheval qui mordait son voisin (les deux autres, effrayés, ruaient et se cabraient). Je n’entends rien, monsieur.

— Rien ?

— Non. Je ne vois que le jour qui va poindre.

— Je crois que vous avez raison. Je n’entends rien non plus maintenant. En route ! »

L’équipage embrouillé se démêle, à moitié caché par les nuages de vapeur qui s’élèvent au-dessus des chevaux. Il se remet en route, doucement d’abord, car le postillon, arrêté inutilement dans sa course, tire de mauvaise humeur son couteau de sa poche pour refaire une mèche à son fouet. Et puis hop ! hop ! clic ! clac ! et les chevaux reprennent leur course furibonde.

Les étoiles pâlissaient au firmament, qui se colorait des premiers feux du jour. Il se lève dans la voiture, regarde derrière lui le chemin qu’il a suivi, et n’aperçoit aucun voyageur dans toute l’étendue de cette triste route. Bientôt il fit grand jour, et le soleil brillait déjà sur les moissons et sur les vignobles. Çà et là des cantonniers, sortant de leurs petites baraques, travaillaient à réparer la route ou mangeait leur premier morceau de pain. Puis c’étaient des paysans qui se rendaient à leur ouvrage ou au marché, ou qui s’arrêtait sur la porte de leurs pauvres chaumières pour le regarder passer. C’était la cour de la poste, noyée dans la boue, avec ses tas de fumier tout fumants et ses vastes servitudes en ruines. Au-dessus s’élève un antique manoir, exposé en plein aux rayons du soleil : les persiennes sont à demi fermées ; l’herbe pousse entre les pierres, depuis la terrasse jusqu’au faîte des tourelles.

Enfoncé tristement dans un coin de la voiture, il ne songeait qu’à fuir au plus vite. Seulement, de temps en temps, il se levait pour regarder par derrière chaque fois qu’il était en plaine ; puis il reprenait sa place et continuait d’ajourner ses réflexions, préoccupé toujours de mille pensées sans but.