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vait le dédommager par la satisfaction de ses goûts voluptueux, la honte de voir dévoiler son infâme conduite à l’égard d’un homme qui avait été pour lui généreux et sincère, mais dont chaque parole orgueilleuse, chaque regard hautain étaient, depuis bien des années, restés placés dans son cœur à gros intérêts, car les fourbes et les artificieux n’ont jamais que du mépris et de la haine pour celui qu’ils flattent, et ils font payer cher les hommages qui ne leur ont rien coûté ; voilà tout ce qui occupait à présent sa pensée. Une rage secrète contre la femme qui l’avait fait tomber dans le piège et l’avait fait servir à sa propre vengeance lui rongeait le cœur. Il avait contre elle de vagues idées de prendre sa revanche, mais il n’y avait rien de distinct dans son esprit ; la précipitation, la contradiction troublaient toutes ses facultés, et, même dans cet état de fièvre ardente qui n’aboutissait à rien, la seule résolution à laquelle il pût rester fidèle, c’était d’ajourner toute réflexion.

Puis il en vint à se rappeler le temps qui avait précédé le second mariage : il pensa à sa jalousie contre le petit garçon, contre la jeune fille ; il se rappela tous les artifices qu’il avait employés pour tenir à distance ceux qui le gênaient, pour enfermer sa victime dans un cercle qu’il ne permettait à personne de franchir. Il se demandait si c’était pour fuir maintenant, comme un voleur épouvanté, devant celui qu’il avait trompé, qu’il avait concerté tous ses plans. Il aurait pu se tuer pour se punir de sa lâcheté, mais sa lâcheté était une suite de sa défaite : il ne lui restait même plus le courage de se tuer. Le coup qui avait anéanti sa confiance dans le succès de son infâme complot, en lui montrant la faiblesse du misérable instrument dans lequel il avait placé sa force, l’avait comme paralysé. Dans sa rage impuissante, il maudissait Edith, il maudissait M. Dombey, il se maudissait lui-même ; et cependant il fuyait toujours : c’était tout ce qu’il pouvait faire.

Il écouta s’il n’entendait pas un bruit de roues par derrière. Il croyait entendre quelque chose : le bruit se rapprochait de plus en plus. À la fin, il en fut si persuadé qu’il cria :

« Arrêtez ! » préférant perdre son avance plutôt que de rester dans son incertitude.

À sa voix, voiture, chevaux, conducteur s’arrêtèrent sur la route.

« Mille tonnerres ! s’écria le postillon en tournant la tête. Qu’est-ce que vous avez ?