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telés, et se glissa dehors, traversa la ville, franchit les vieux remparts et se trouva sur la grand’route, qui semblait serpenter dans la plaine obscure comme un ruisseau.

Mais où coulait ce ruisseau ? où se terminait sa course ? Pendant qu’il s’arrêtait pour y songer, regardant les arbres élancés qui s’agitaient tristement le long du chemin, ce souffle puissant, ce grondement sourd, ce vol de la mort, il les entendait impétueux, irrésistibles, et la frayeur troublait son âme, sombre comme le lieu où il se trouvait et vague comme l’horizon qu’il avait devant lui.

L’air était calme ; aucune ombre ne passait près de lui dans l’obscurité de la nuit pas de bruit. La ville était derrière lui ; quelques lumières brillaient çà et là et les étoiles étaient cachées par les édifices qui se dessinaient dans le ciel.

L’obscurité et la solitude l’enveloppaient de toutes parts, et les horloges sonnaient au loin deux heures.

Il lui semblait qu’il avait marché longtemps, qu’il avait fait bien du chemin, et il s’arrêtait souvent pour écouter. À la fin, les grelots des chevaux se firent entendre à son oreille inquiète. Le bruit se rapprocha, tantôt faible, tantôt fort ; parfois il ne l’entendait plus, parfois c’était un tintement plus sourd, quand le chemin était mauvais, puis tout à coup il devenait de nouveau plus vif et plus gai ; enfin, dans la nuit noire, un postillon enveloppé jusqu’aux yeux, jurant, fouettant ses bêtes, arrêta à ses côtés ses quatre chevaux lancés au galop.

« Qui est là ? Est-ce vous, monsieur ?

— Oui

— Monsieur a marché bien loin dans l’obscurité.

— Qu’importe ? Chacun son goût. Avait-on commandé d’autres chevaux à la poste ?

— Mille tonnerres de rosses !… Ah ! pardon, monsieur. Vous demandez si on a commandé d’autres chevaux : à cette heure-ci, oh ! non !

— Écoute l’ami, je suis très-pressé. Combien de lieues à l’heure ? Je te préviens que plus tu iras vite, plus tu auras de pourboires. Allons ! en route et au galop.

— Et hop ! et hop ! clic ! clac ! »

Et voila la voiture lancée au galop à travers la route sombre et faisant voler autour d’elle la boue et la poussière.

Le bruit et le mouvement rapide de la voiture répondaient aux sentiments désordonnés du fugitif, dont le cœur dévorait l’espace. Il faisait nuit au dehors, nuit au dedans. Les objets