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père, pris au piège, bafoué, foulé aux pieds par cette femme qu’il avait dégradée pour en faire le jouet de son caprice : attrapé dans ses propres filets et dépouillé de sa peau de renard, il se glissait le long des murs, honteux, dégradé, effrayé.

Pendant qu’il s’enfuyait dans les rues, un autre sentiment de terreur, qui n’était plus la crainte d’être poursuivi, s’empara de lui avec la rapidité de l’éclair. Il lui sembla, au milieu de son hallucination, que le sol tremblait sous ses pas et qu’il entendait dans l’air un grondement sourd, un souffle puissant : il crut sentir les ailes de la mort battre au-dessus de sa tête. Il se baissa comme pour laisser passer le fantôme. La mort n’avait pas passé, elle n’était pas venue là et cependant elle avait laissé derrière elle une horreur saisissante. Il leva sa méchante figure toute troublée vers le ciel, où brillaient paisiblement les étoiles, comme au moment où il était sorti de l’hôtel, et s’arrêta pour se demander ce qu’il devait faire. La crainte d’être poursuivi dans un pays étranger où les lois ne pouvaient le protéger ; la solitude où il se trouvait au milieu des ruines de ses plans déçus, la crainte plus grande encore qu’il éprouvait s’il allait chercher un refuge en Italie ou en Sicile, où l’on pourrait payer des hommes pour l’assassiner au coin d’une rue ; les sombres pensées que lui suggéraient son crime et la peur, peut-être aussi la résolution subite de laisser là ses projets évanouis, tout contribua à le faire changer de route pour retourner en Angleterre.

« Je serai plus en sûreté là-bas de toute manière, se dit-il. Si je ne me décide pas à une rencontre avec ce fou, j’y serai maintenant plus à l’abri des recherches que dans les pays étrangers. Et si je dois me rencontrer avec lui, quand sa maudite colère sera passée, je ne serai pas seul du moins, sans une âme à qui parler, sans un ami pour me conseiller ou pour me soutenir. On ne viendra pas m’assommer là comme un rat. »

Il murmura le nom d’Edith en serrant le poing. Pendant qu’il se glissait le long des murailles, à l’ombre des hautes maisons, il grinçait des dents et l’accablait d’imprécations en cherchant de côté et d’autre s’il ne la verrait pas. Il arriva ainsi à la porte d’une auberge. Tout le monde était couché, mais au bruit qu’il fit en tirant la sonnette, un homme apparut une lanterne à la main. Il fut conduit sous une obscure remise, où il fit prix d’un vieux phaéton pour aller à Paris.

Le marché fut bientôt conclu ; on alla aussitôt chercher les chevaux. Il donna ordre qu’on le suivît quand ils seraient at-