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— Oui, je me rappelle tout. Écoutez : Vous m’avez proposé cette fuite, non pas telle qu’elle est, mais telle que vous l’aviez rêvée. Vous m’avez dit qu’il ne tenait qu’à vous de dévoiler notre entrevue et de faire voir que vous étiez auprès de moi. Vous m’avez dit qu’en consentant à vous recevoir seul tant de fois, en vous ménageant l’occasion de me voir, en vous avouant si ouvertement que je n’avais pour mon mari que de l’aversion, sans avoir le moindre respect pour moi-même… je m’étais perdue, que je vous avais donné le pouvoir de diffamer mon nom, et que ma réputation désormais, dépendait de votre bon plaisir.

— Ruses d’amour que tout cela, interrompit-il en souriant, c’est toujours le vieux refrain.

— Ce soir-là, dit Edith, la lutte que j’avais soutenue en moi avec un je ne sais quoi qui n’était pas le respect de moi-même, mais qui sans doute était un dernier souffle de pudeur, cette lutte cessa. Ce soir-là, il n’y eut plus en moi que colère et désir de vengeance. Je frappai un coup qui a terrassé votre maître orgueilleux et qui vous a mis, vous, là où vous êtes maintenant, en face de moi, me regardant et sachant bien ce que je veux dire. »

Il se leva de sa chaise le blasphème à la bouche. Edith porta la main à son sein ; pas un de ses doigts ne tremblait, pas un de ses cheveux ne remuait. Ils étaient tous les deux debout, face à face, séparés par la table et le fauteuil.

« Non, jamais je n’oublierai que ce soir-là cet homme a approché ses lèvres des miennes, qu’il m’a serrée dans ses bras comme il l’a fait ce soir, dit Edith en le montrant du doigt, jamais je n’oublierai la tache que son baiser a laissée sur ma joue, la joue contre laquelle Florence allait reposer sa tête innocente ; jamais je n’oublierai ma rencontre avec elle au moment où ce baiser était encore brûlant sur ma joue, au moment où je songeai tout à coup en la voyant, que, si je la délivrais de la persécution causée par mon amour, je jetais en même temps sur son nom la honte et le déshonneur du mien, et que je serais toujours pour elle la première femme coupable qu’elle aurait fuie. Ah ! si je pouvais jamais oublier tout cela, ô mon époux ! vous dont je me suis volontairement séparée, il me serait aussi facile d’oublier le supplice de ces deux dernières années, de défaire ce que j’ai fait et de vous être restée fidèle. »

Ses yeux étincelants, qu’elle avait levés un moment, se re-