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stant. » Tout cela fut dit par l’homme chauve avec force saluts, accompagnés de sourires : enfin arriva le souper.

Les plats étaient sur des réchauds ; les viandes froides étaient d’avance sur la table ; la vaisselle de rechange était préparée sur le buffet. Monsieur se montra content de cet arrangement. La table était petite, ce qui lui plut beaucoup. Il dit aux domestiques qu’ils pouvaient laisser là les réchauds et s’en aller. Il se chargerait lui-même de desservir les plats de sa propre main.

« Pardon, dit poliment l’homme chauve, c’est impossible, monsieur. »

Ce n’était pas l’opinion de Monsieur, qui fit entendre qu’il n’avait plus besoin de personne ce soir-là.

« Mais madame ? insinua l’homme chauve.

— Madame, répliqua monsieur, a sa femme de chambre, cela suffit.

— Je vous demande mille pardons, madame n’a pas de femme de chambre.

— Je suis venue seule ici, dit Edith, j’ai préféré venir seule, je suis assez habituée à voyager. Je n’ai pas besoin de domestique ; qu’on ne m’envoie personne. »

Monsieur donc qui persistait dans sa première intention suivit les deux domestiques jusqu’à la dernière porte qu’il ferma sur eux à double tour. L’homme chauve, qui, en sortant, s’était retourné pour saluer, remarqua que madame était toujours debout, la main sur le dos du fauteuil de velours et que sa figure ne regardait pas Monsieur, quoique ses yeux fussent dirigés devant elle.

Lorsque Carker ferma la porte, le bruit de la clef dans la serrure traversant toutes les pièces vint frapper l’oreille d’Edith : minuit sonnait alors à la cathédrale. Elle l’entendit s’arrêter comme s’il écoutait l’heure aussi de son côté. Enfin, il revint vers elle, marchant au milieu d’un profond silence et fermant toutes les portes des pièces qu’il traversait. Edith, un instant, quitta le dossier du fauteuil pour approcher à sa portée un couteau qui était sur la table. Puis elle reprit la même attitude.

« L’étrange idée, mon amour, d’être venue ici toute seule lui dit-il en entrant.

— Comment ? » répliqua-t-elle.

Il y avait dans ce mot tant de dureté, dans le mouvement de sa tête quelque chose de si farouche, dans son attitude