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fût de premier choix et tout à fait délicat. Monsieur trouvera, j’espère, que sa confiance dans la Tête d’Or n’est pas mal placée. »

Edith n’ajouta rien, mais elle resta pensive pendant qu’ils mettaient le couvert pour deux personnes et disposaient les bouteilles.

Elle se leva, avant qu’ils eussent fini ; et, prenant une lampe, elle passa dans la chambre à coucher, puis dans le salon où elle examina en peu de temps, mais avec soin, toutes les portes. Elle remarqua surtout celle qui, dans la dernière chambre, donnait sur le couloir pratiqué dans le mur. Elle en retira la clef et la remit en dehors, puis elle vint reprendre sa place.

Les deux hommes (le second était brun, d’un teint bilieux, vêtu d’une veste, et bien rasé ; ses cheveux noirs étaient coupés en brosse) avaient terminé les préparatifs du souper, et s’étaient assurés que rien ne manquait. Celui qui avait parlé le premier demanda si madame pensait que Monsieur serait encore longtemps à venir.

« Je n’en sais rien, répondit-elle. Qu’importe ?

— Pardon, madame, mais voici le souper prêt. Il faut qu’il soit mangé à la minute. Monsieur qui parle français comme un ange ou comme un Français, ce qui est tout un, nous a prévenus qu’il était l’exactitude même. Les Anglais sont si exacts ! Mais quel bruit ! mon Dieu ! c’est Monsieur ! Écoutez. »

En effet c’était Monsieur, qui arrivait avec ses dents brillantes sur les pas du second serviteur ; on ne voyait qu’une bouche qui avançait à travers les chambres obscures. Quand il entra dans le sanctuaire resplendissant de lumière et de couleur, il apparut alors tout entier ; il embrassa madame, qu’il appela en français sa charmante femme.

« Mon Dieu ! madame se trouve mal ! la joie étouffe madame, » s’écria la tête chauve à la longue barbe.

Ce n’était rien : madame avait eu seulement un léger frisson. Le domestique en avait à peine fait la remarque qu’elle avait déjà posé la main sur le dossier d’un grand fauteuil en velours, se redressait de toute sa hauteur, et reprenait un visage impassible.

« François a couru à la Tête d’Or chercher le souper. Dans de semblables occasions, il ne court pas, il vole comme un ange ou comme un oiseau. La malle de Monsieur est dans sa chambre. Tout est prêt. Le souper va être servi dans un in-