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CHAPITRE XVI.

Les fugitifs.


Il n’est pas encore minuit : nous sommes dans un appartement décoré à la française et composé d’une demi-douzaine de chambres. Une entrée ou un corridor sombre, une salle à manger, un salon, une chambre à coucher et au fond un salon ou boudoir, plus petit et plus retiré que tout le reste. Toutes ces pièces sont fermées par une grande porte à deux battants qui donne sur le grand escalier. Mais, dans chaque chambre, se trouvent deux ou trois portes de communication avec les autres pièces de l’appartement ou avec certains petits couloirs pratiqués dans le mur et conduisant, selon les habitudes françaises, à un escalier de service ; cet escalier aboutit en bas à un sombre passage. Le tout est situé au premier étage d’un hôtel si vaste, que les appartements, malgré le grand nombre de pièces, ne prennent pas tout un côté de la cour dont l’hôtel fait le tour.

Un air de splendeur, assez passée déjà pour être triste, et pourtant assez brillante encore pour gêner et pour embarrasser, par un luxe d’inutilités incommodes, les détails de la vie intérieure, régnait ici partout. Les murs et les plafonds étaient peints et dorés ; les parquets étaient cirés et frottés ; des draperies rouges pendaient en festons sur les croisées, les portes et les glaces. Des girandoles, tortillées et enroulées comme des branches d’arbres ou comme les andouillers d’un cerf sortaient des panneaux du mur. Mais, pendant le jour, quand les persiennes, en ce moment fermées, étaient ouvertes et que la lumière pénétrait dans les chambres, on pouvait voir, dans toute cette friperie, des traces de dégradation et d’usure, de poussière, de soleil, d’humidité, de fumée. Longtemps inoccupé par intervalles, le mobilier avait souffert de cette vacance prolongée, car ces jouets de la vanité, ces amusements de la vie sont délicats et sensibles comme la vie même : ils s’altèrent, abandonnés derrière les volets et les verroux, comme les vivants dans un cachot. La nuit même, propice à dissimuler ces