Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 3.djvu/245

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vez croire que tout ce que je dis est bien vrai et qu’il s’est livré dans mon cœur une lutte terrible. J’ai honte de vous avouer ce que j’éprouve en ce moment, mais je ne le hais plus autant ; je me méprise moi-même, j’ai lutté avec moi tout le jour, toute la nuit : mais je me sens disposée à lui pardonner sans savoir pourquoi. Je voudrais réparer ce que j’ai fait, si c’est possible. Je ne voudrais pas les voir se rencontrer pendant que son ennemi est aveuglé par la colère. Si vous l’aviez vu comme moi, quand il est parti hier soir, vous comprendriez mieux le danger !

— Mais comment le prévenir ? que faire ? s’écria Henriette.

— Toute la nuit, poursuivit l’autre avec exaltation, j’ai rêvé de lui, je n’étais pas endormie pourtant ! Mais je le voyais noyé dans son sang ; et pendant le jour, je croyais l’avoir à mes côtés.

— Mais que faire ? disait Henriette toute tremblante.

— S’il y a quelqu’un qui puisse lui écrire, qui puisse le faire prévenir ou aller le trouver, il n’y a pas une minute à perdre. Il est à Dijon. Connaissez-vous cette ville ? Savez-vous où elle se trouve ?

— Oui.

— Avertissez-le que l’homme dont il s’est fait un ennemi est transporté de rage et qu’il ne faut pas qu’il affronte sa présence. Dites-lui qu’il est en chemin et qu’il se hâte, je le sais. Qu’il se sauve, s’il en est temps encore ! qu’il évite de se rencontrer avec lui en ce moment. Encore un mois ou deux seulement, et ce sera tout autre chose. Que je ne sois pas cause de leur rencontre ! Qu’ils se retrouvent partout, excepté là, peu importe quand, pourvu que ce ne soit pas maintenant. Que son ennemi le poursuive et le découvre de lui-même sans mon aide, à la bonne heure. Mais j’en ai déjà bien assez sur la conscience : qu’on m’épargne au moins le remords. »

Le feu avait cessé de se refléter sur ses cheveux de jais, sur sa tête qu’elle relevait fièrement, sur ses yeux ardents ; sa main avait quitté le bras d’Henriette, et la place où elle s’était agenouillée était vide.