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votre porte. Laissez-moi entrer, si vous pouvez avoir confiance en moi seulement pour cette fois. »

Le courage d’Henriette l’emporta sur sa frayeur, et elles entrèrent dans la petite cuisine éclairée par le feu de la cheminée. C’était là qu’Alice s’était assise autrefois, qu’elle avait mangé et qu’elle avait séché ses habits.

« Asseyez-vous là, dit-elle en s’agenouillant devant elle, et regardez-moi. Vous souvenez-vous de moi ?

— Oui.

— Vous vous souvenez de ce que je vous ai raconté quand je vous ai dit qui j’étais, d’où je venais, avec mes vêtements déchirés, mes pieds meurtris, la figure fouettée par la pluie et le vent ?

— Oui.

— Vous savez que je suis revenue ce soir-là, que j’ai jeté votre argent dans la poussière et que je vous ai maudite, vous et votre race ? Maintenant, regardez-moi à vos pieds, suppliante comme je l’étais alors.

— Si ce que vous demandez, dit Henriette avec douceur, est le pardon…

— Mais ce n’est pas le pardon, répondit l’autre avec un regard plein d’une fierté farouche ; ce que je demande, c’est que vous me croyiez. Maintenant, vous jugerez si je suis digne de foi, en sachant ce que j’étais et ce que je suis. »

Et, toujours à genoux, les yeux fixés sur la flamme qui éclairait sa beauté flétrie et ses cheveux noirs en désordre, elle rejeta une de ses longues tresses sur ses épaules, la roula autour de sa main, et la mordit en la tordant, sans penser à ce qu’elle faisait. Elle continua :

« Quand j’étais jeune et jolie, et que cette chevelure était l’objet de soins délicats (et elle montrait avec mépris les cheveux qu’elle tenait dans la main), quand cette chevelure faisait l’admiration de tout le monde, ma mère, qui ne s’était guère occupée de mon enfance, s’avisa que je valais quelque chose, m’aima et devint fière de moi. Elle était avare et pauvre : elle pouvait tirer parti de moi. Ce n’est pas de grande dame qui aurait jamais eu cette idée pour sa fille, ou qui se serait conduite comme le fit ma mère. Oh ! non, jamais cela n’arrive ; nous le savons tous, et cela prouve que c’est seulement chez de misérables créatures comme nous qu’on peut voir des mères élever mal leurs filles et les exposer aux tristes conséquences d’une pareille éducation. »