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elles semblaient une réalité ! Aussi, lorsque les ténèbres de la nuit s’épaissirent, elle n’osa plus lever la tête, ni regarder dans les recoins de la chambre, dans la crainte que le fantôme de son frère courroucé, produit de son imagination surexcitée, ne fût là tout prêt à l’effrayer. Un moment, l’idée qu’il était caché dans la chambre à côté, lui traversa l’esprit ; elle savait bien que c’était folie de sa part, et, au fond, elle n’y croyait pas. Cependant elle ne put s’empêcher d’y aller pour s’assurer qu’il n’y était pas. Mais elle faisait de vains efforts ; la chambre, quand elle y rentrait, se peuplait de terreurs chimériques ; elle ne pouvait se débarrasser de ces êtres imaginaires. On aurait dit des géants de pierre enracinés dans le sol.

Il faisait déjà presque noir ; elle était assise près de la fenêtre, la tête sur la main, les yeux baissés, lorsque voyant les ténèbres envahir l’appartement, elle leva les yeux et poussa un cri involontaire. Contre les carreaux, au dehors, il y avait une figure, une figure pâle et effrayée qui regardait dans la chambre ; pendant un instant, cette figure semblait indécise, comme si elle cherchait quelque chose : enfin ses yeux se reposèrent sur la sœur de John et devinrent étincelants.

« Laissez-moi entrer ! laissez-moi entrer ! j’ai besoin de vous parler ! » et sa main frappait sur la vitre. Elle reconnut aussitôt la femme aux longs cheveux noirs, à qui elle avait donné asile un soir qu’il pleuvait ; celle qu’elle avait réchauffée, à qui elle avait donné de la nourriture. Cette vue l’effraya quand elle se rappela la violence de son caractère, et se reculant à quelque distance de la fenêtre, elle resta debout irrésolue, inquiète.

« Laissez-moi entrer ! laissez-moi entrer ! Je suis reconnaissante, tranquille, humble, tout ce que vous voudrez. Mais laissez-moi vous parler ! »

Ce ton de supplication violente, l’ardente expression de sa physionomie, ces mains tremblantes qui se levaient pour l’implorer, cette voix qui semblait reproduire l’effroi et la terreur qu’elle-même éprouvait en ce moment, tout décida Henriette. Elle se hâta d’aller ouvrir la porte.

« Puis-je entrer, ou dois-je vous parler d’ici ? demanda la femme en lui prenant a main.

— Que voulez-vous ? Qu’avez-vous à me dire ?

— Un mot ; mais laissez-moi vous le dire, ou je ne vous le dirai jamais. Je me sens déjà tentée de m’en aller. Il me semble qu’il y a des mains qui me tirent pour m’arracher de