Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 3.djvu/239

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quand il eût été de son devoir de modérer ces tendances funestes en lui montrant, autant que possible, où elles pouvaient le conduire ; tout cela, n’est-ce pas, ne vous surprendra pas. Pour grandir encore la réputation de la maison dont le crédit est immense, et pour l’élever bien au-dessus des autres maisons de commerce, on s’est lancé dans des entreprises fabuleuses qui, en y réfléchissant de sang-froid, peuvent avoir… et auront certainement, au moindre revers, les conséquences les plus désastreuses. Au milieu des affaires innombrables de la maison dans presque tous les pays du monde, immense labyrinthe dont il connaît seul les détours, il a eu la plus grande facilité, et il semble l’avoir mise à profit ; il a eu, dis-je, la plus grande facilité pour laisser dans l’ombre tous les résultats qu’il connaissait, et pour substituer aux faits des approximations, des comptes falsifiés. Mais dans ces derniers temps… Vous me comprenez, n’est-ce pas, miss Henriette ? — Parfaitement, parfaitement, dit-elle en le regardant fixement la terreur peinte sur son visage. Je vous en prie, dites-moi tout.

— Dans ces derniers temps, il semble avoir pris à tâche d’éclaircir si bien toutes les affaires, qu’en ouvrant les livres on les embrasse d’un seul coup d’œil, quelque nombreuses, quelque variées qu’elles soient. On dirait qu’il a voulu montrer à son chef jusqu’où a pu le conduire le culte de l’orgueil, sa passion dominante ! Il est certain qu’il s’est occupé constamment à encenser bassement cette passion et à la flatter honteusement. C’est en cela que consiste principalement son crime, parce que les affaires de la maison s’y trouvent engagées.

— Encore un mot avant votre départ, cher monsieur, dit Henriette. N’y a-t-il aucun danger dans tout cela ?

— Quel danger ? répondit-il en hésitant un peu.

— Pour le crédit de la maison ?

— Je ne puis m’empêcher de vous parler franchement et d’avoir en vous toute confiance, dit M. Morfin après l’avoir regardée un moment avec attention.

— Oh ! vous le pouvez ! vous le pouvez !

— Oui, je le sais, dit-il. Vous me demandiez donc s’il y avait quelque danger pour le crédit de la maison ? Non, il n’y en a aucun. Il pourra y avoir une crise plus ou moins forte, mais pas de danger réel. À moins que… le chef de la maison, ne pouvant se décider à réduire ses entreprises, et, refusant