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sible les traits, la taille et les vêtements de l’inconnu. Mais John Carker, soit qu’il ne connût pas l’original, soit que le signalement donné ne fût pas exact, soit enfin qu’il fût trop absorbé par ses pensées, pendant qu’il se promenait à grands pas dans la chambre, ne put reconnaître le portrait qu’elle lui traça.

Cependant, il fut convenu entre eux qu’il verrait l’original, la première fois qu’il se présenterait. Ceci conclu, la sœur se remit à ses travaux domestiques le cœur plus léger, et le ci-devant subalterne de la maison Dombey, le subalterne aux cheveux gris profita du premier jour d’une liberté qu’il n’avait pas demandée, pour travailler au jardin.

La soirée était avancée, et le frère lisait tout haut pendant que la sœur faisait courir son aiguille, quand ils furent interrompus par un coup frappé à la porte. La vague inquiétude, l’effroi qu’ils éprouvaient de la fuite de leur frère, les fit frissonner à ce bruit inaccoutumé. Carker alla à la porte, pendant que la sœur, assise à sa place prêtait une oreille inquiète. Elle entendit quelqu’un lui parler ; il répondit et parut surpris. Après avoir échangé quelques mots, elle vit son frère rentrer dans la chambre avec une autre personne.

« Henriette, dit son frère en introduisant l’étranger, qui venait les visiter à une heure si avancée, et en parlant à voix basse, M. Morfin, le gentleman qui est resté si longtemps dans la maison de M. Dombey avec James. »

Sa sœur recula comme s’il fût entré un fantôme. Sur le seuil était l’ami inconnu avec ses cheveux gris, sa figure ouverte, son large front, ses yeux si doux, cet ami qu’elle avait tenu si longtemps caché à son frère.

« John, dit-elle d’une voix tremblante, c’est l’inconnu dont je vous ai parlé aujourd’hui.

— L’inconnu se trouve tiré d’un grand embarras, miss Henriette, dit le gentleman en entrant alors, car il s’était arrêté dans le corridor. En venant ici, j’ai cherché tout le long du chemin comment et de quelle façon je pourrais expliquer mes visites, et je ne savais comment faire. M. John, je ne suis pas tout à fait étranger ici. Vous avez été au comble de la surprise en me voyant tout à l’heure à votre porte ; vous êtes peut-être encore plus surpris maintenant. Mais quoi, il n’y a rien dans tout cela de bien extraordinaire. Si nous n’étions de vraies bêtes d’habitude, nous n’aurions pas lieu de nous étonner si souvent. »