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comme je crois que vous le pensez, vous avez de bonnes raisons pour m’aimer, quoique je ne m’y sente aucun autre droit que ma propre affection, que je ne vous entende plus prononcer de si cruelles paroles ! »

Il se couvrit le visage de ses deux mains ; mais quand elle s’approcha de lui, il la laissa en prendre une dans les siennes.

« Après tant d’années, c’est une triste séparation, je le sais, dit sa sœur, et la cause en est bien pénible pour tous deux. Mais il nous faut vivre, et nous devons songer au parti que nous avons à prendre. Oui, oui ; il le faut, sans nous laisser battre. Nous devons être fiers et non pas humiliés, John, de lutter, de lutter chacun de notre côté. »

Le sourire était sur ses lèvres, pendant qu’elle l’embrassait et le suppliait d’avoir bon courage.

« Ô chère sœur, vous vous êtes tenue unie de votre plein gré à un homme ruiné, dont la réputation est souillée, qui n’a pas d’amis et qui vous prive d’amis vous-même !

— John, dit-elle, en lui mettant vivement la main sur les lèvres, par amour pour moi, en souvenir de notre longue union… ! »

Il se tut.

« Maintenant, dites-moi, mon ami, reprit-elle en s’asseyant avec calme auprès de lui, je m’étais, comme vous, attendue à ce qui arrive. Quand j’y ai pensé, que j’ai redouté cet événement, je m’y suis préparée le mieux possible, et j’ai résolu de vous dire, quand le moment serait venu, que je vous ai caché quelque chose, et que nous avons un ami.

— Quel est le nom de notre ami, Henriette ? répondit-il avec un triste sourire.

— Je ne le sais pas ; mais il m’a fait une fois les plus vives protestations d’amitié et m’a parlé avec chaleur de son désir de nous être utile. Depuis ce jour, je crois en lui.

— Henriette ! s’écria son frère tout surpris, où demeure cet ami ?

— Je ne le sais pas non plus, répondit-elle, mais il nous connaît tous deux. Il sait notre histoire, toute notre petite histoire, John. C’est pourquoi, d’après son avis même, j’ai gardé le secret de sa visite, dans la crainte que vous ne fussiez contrarié qu’il fût venu ici.

— Il est venu ici, Henriette ?

— Ici même, dans cette chambre, une fois.

— Quel homme est-ce ?