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CHAPITRE XV.

Nouveaux renseignements.


Il y avait deux personnes qui touchaient au traître de très-prêt : son frère, qu’il avait renié, et sa sœur. Le poids du crime qui venait d’être commis les accablait peut-être plus que la victime de ce sanglant outrage. Le monde, dans sa cruelle curiosité, avait eu pourtant cela de bon pour M. Dombey, qu’il lui avait donné du ressort pour courir à la poursuite du coupable, à la vengeance. Le monde avait rallumé son courroux, aiguillonné son orgueil, donné à l’unique pensée de sa vie un nouvel intérêt et soulagé le poids de sa colère, l’unique objet aujourd’hui de ses facultés intellectuelles.

L’inflexibilité de sa nature implacable, son impénétrable roideur, son humeur sombre et morose, le sentiment exagéré de son importance personnelle, son empressement jaloux à réparer la moindre atteinte faite à sa dignité officielle, étaient comme autant de petits ruisseaux aboutissant, en ce moment, à un fleuve immense, qui semblait l’emporter dans son courant rapide. La colère impétueuse, poussée jusqu’au délire, eût été moins à redouter que ne l’était en ce moment la sinistre taciturnité de M. Dombey, préoccupé de son projet. Une bête sauvage se serait plus facilement apprivoisée que ce grave gentleman, dont la roide cravate ne faisait pas un pli.

Ainsi donc, le plaisir qu’il éprouvait à méditer sa vengeance, était déjà un changement, et l’incertitude du lieu de retraite où il devait atteindre son rival donnait à son chagrin un autre cours qui en diminuait la force. Mais le frère et la sœur de son perfide ami n’avaient rien de pareil pour distraire leur douleur ; tout dans l’histoire de leur vie, le passé, le présent, aggravait encore son crime à leurs yeux.

La sœur pouvait se dire avec tristesse qu’il aurait peut-être évité sa faute qu’il avait commise, s’il avait gardé près de lui sa compagne et son amie. Si elle le pensait, c’était sans regret du moins pour ce qu’elle avait fait, sans le moindre scrupule sur les devoirs qu’elle remplissait, sans chercher à donner