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t-elle en le serrant toujours de près et le regardant dans le blanc des yeux.

— Ma parole ! je ne le sais pas, m’am Brown, répondit Robin. Ma parole ! je ne sais pas ce qu’il a fait ni où il est allé. Je ne sais rien de lui. Je me rappelle seulement qu’il m’a dit de me taire, quand nous nous sommes séparés. Et je vous préviens, m’am Brown, en ami, que plutôt que de jamais répéter un mot de ce que nous disons maintenant, vous feriez mieux de vous tuer du coup ou de vous enfermer dans cette maison, et d’y mettre le feu, car voyez-vous, il n’y a rien qu’il ne soit capable de faire pour se venger de vous. Vous ne le connaissez pas comme moi, m’am Brown. Il n’y a pas moyen de lui échapper, je vous dis !

— N’ai-je pas donné ma parole, répliqua la vieille, est-ce que je voudrais y manquer ?

— Eh bien ! m’am Brown, j’espère que vous tiendrez votre parole, répondit Robin de l’air de quelqu’un qui n’est pas très-convaincu et laissant percer sur sa physionomie comme une espèce de menace. Ce que je vous dis là, c’est dans votre intérêt aussi bien que dans le mien. »

En lui donnant cet avertissement amical, qu’il corrobora d’un vigoureux mouvement de tête, il la regarda attentivement : mais cette figure jaunâtre de la vieille grimacière, ces yeux de furet au regard froid et perçant le mettaient mal à l’aise : il baissa la tête et s’agita sur sa chaise, comme s’il s’apprêtait à déclarer, de son air le plus grognon, qu’il ne répondrait plus à aucune question. La vieille, toujours placée devant lui, profita de la circonstance pour lever en l’air l’index de sa main droite : c’était un signal mystérieux adressé au personnage caché derrière la porte, pour l’avertir de bien faire attention à ce qui allait se passer.

« Robin, lui dit-elle de son ton le plus câlin.

— Mon Dieu ! m’am Brown, qu’est-ce qu’il y a encore ? répondit le Rémouleur exaspéré.

— Robin ! où se sont-ils donné rendez-vous, ton maître et la dame ? »

Robin n’y tenait plus ; il s’agitait sur sa chaise, regardait en l’air, regardait en bas, se mordait le pouce, l’essuyait sur son habit, enfin il répondit à son bourreau de questions :

« Comment voulez-vous que je le sache, m’am Brown ? »

La vieille leva encore son index comme tout à l’heure et répliqua :