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ailleurs ? Je n’imagine pas, dit-il après un moment de silence pendant lequel il l’avait observée sévèrement, je ne pense pas que vous ayez l’audace de plaisanter avec moi ou de m’en imposer. Mais si tel est votre dessein, vous feriez mieux de vous arrêter au début de votre ruse. Je ne suis pas d’humeur à rire, et vous pourriez avoir à vous repentir de votre hardiesse.

— Oh ! je sais bien que vous êtes un gentleman fier et dur ! gloussa la vieille en secouant la tête et en frottant ses mains ridées. Oui dur, dur, dur ! Mais Votre Seigneurie entendra de ses propres oreilles, et verra de ses propres yeux ; et si je la mets sur leurs traces, elle ne refusera pas de me donner quelque chose pour ma peine, n’est-ce pas mon digne gentleman ?

— L’argent, répondit M. Dombey, que cette question semblait avoir rassuré et mis à l’aise, peut faire des miracles, je le sais. Il peut expliquer même des moyens aussi inattendus et aussi peu croyables que ceux-ci. Oui, je payerai tout renseignement qui me paraîtra vraisemblable. Mais je veux les renseignements d’abord, pour juger moi-même de leur valeur.

— Vous ne connaissez donc rien de plus puissant que l’argent ? demanda la jeune femme sans se lever et sans changer d’attitude.

— Non, pas ici du moins, j’imagine, dit M. Dombey.

— D’après ce que j’entends dire, vous savez pourtant qu’il y a ailleurs quelque chose de plus puissant, reprit-elle. Ne savez-vous rien de la colère d’une femme ?

— Vous avez une langue bien hardie, coquine, dit M. Dombey.

— Non, pas habituellement, répondit-elle sans témoigner la moindre émotion. Si je vous parle en ce moment, c’est pour que vous nous compreniez mieux et que vous ayez plus de confiance en nous. La colère d’une femme est aussi puissante ici que dans votre magnifique demeure. Je suis en colère, moi, je le suis depuis bien des années. J’ai d’aussi bonnes raisons d’être en colère que vous-même, et l’objet de ma colère est le même homme. »

Il tressaillit malgré lui et la regarda avec surprise.

« Oui, dit-elle avec une sorte de ricanement, quelque grande que paraisse la distance qui nous sépare, c’est comme je vous le dis. Peu vous importe pourquoi ; c’est mon histoire et je garde mon histoire pour moi. Je voudrais vous faire rencontrer avec lui, parce que j’ai à me venger de lui. Ma mère que voici est avare et pauvre, et elle vendrait les renseigne-