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En effet il fallait la voir accroupie en silence comme une tigresse avec des yeux flamboyants.

« Écoutez, dit la vieille d’un air de triomphe. J’entends des pas. Ce n’est pas la marche de quelqu’un qui habite dans le voisinage, ni qui vienne souvent par ici. Nous ne marchons pas comme ça, non ! Nous serions fières d’avoir de pareils voisins ! L’entendez-vous ?

— Je crois que vous avez raison, mère ! reprit Alice à voix basse. Chut ! Ouvrez la porte. »

Alice s’enveloppa dans son châle, le serra autour d’elle, pendant que sa mère allait ouvrir la porte : elle regarda sur le carré, fit signe du doigt. M. Dombey entra. Il s’arrêta quand il eut posé le pied sur le seuil de la porte, et lança tout autour de lui un regard méfiant.

« C’est une bien humble demeure pour un aussi grand personnage que Votre Seigneurie, dit la vieille en faisant une révérence et en marmottant entre ses dents. Je vous l’avais bien dit, mais cela ne fait rien.

— Qui est-ce qui est là ? demanda M. Dombey en lui montrant sa compagne.

— C’est ma jolie fille, dit la vieille. Votre Seigneurie n’a pas besoin de s’en inquiéter, elle est au courant de l’affaire. »

Une ombre s’étendit sur le visage du noble visiteur ; c’était comme s’il eût soupiré tout haut : « Qui donc l’ignore ! » Il la regarda d’un air hautain et elle, sans lui faire le moindre salut, le regarda aussi. L’ombre, qui s’était étendue sur son visage, s’épaissit : il détourna son regard de la jeune femme, mais il reporta bientôt ses yeux de son côté à la dérobée, comme si cet œil hardi le poursuivait d’un souvenir odieux en lui rappelant celui d’un autre.

« Femme ! dit M. Dombey à la vieille sorcière qui gloussait et frisait ses yeux à ses côtés, et qui, en se voyant interpellée, fit un signe furtif à sa fille, se frotta les mains et lui fit un autre signe encore ; femme ! c’est une grande faiblesse de ma part de déroger ainsi à mon rang en venant ici, mais vous savez pourquoi je viens et ce que vous m’avez offert quand vous m’avez arrêté l’autre jour dans la rue. Qu’avez-vous à me dire concernant l’affaire qui m’intéresse, et comment se fait-il que je puisse avoir dans un bouge comme celui-ci (et il jeta un regard de mépris autour de lui), que je puisse avoir ici des détails proposés de plein gré quand j’ai employé en vain tous les moyens, tout mon pouvoir pour en obtenir partout