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ami. Il s’assit en face de lui, auprès du feu, l’observant respectueusement et attendant quelque encouragement ou un mot de curiosité de la part de Bunsby qui pût lui donner une occasion d’expliquer son affaire. Mais le philosophe acajou ne semblait avoir de sentiment que pour la chaleur et pour le tabac. Une fois seulement, ôtant sa pipe de ses lèvres pour y introduire son verre, il fit remarquer, de sa voix la plus rauque, que son nom était Janot Bunsby. Cette déclaration n’était pas une ouverture suffisante pour entamer la conversation : aussi le capitaine, pour se concilier son attention, lui raconta, dans un exorde court et flatteur, toute l’histoire du départ de l’oncle Sol, sans oublier le changement que cela avait produit dans son existence et dans sa position ; puis il termina en plaçant le paquet sur la table.

Après une longue pause, M. Bunsby remua la tête en signe d’assentiment.

« Il faut l’ouvrir ? » dit le capitaine.

Bunsby remua encore la tête.

Le capitaine donc rompit le cachet, et mit à l’air deux papiers pliés, dont il lut séparément la suscription :

« Dernières volontés et testament de Solomon Gills. Lettre pour Édouard Cuttle. »

Bunsby, l’œil toujours sur la côte du Groënland, semblait disposé à écouter le contenu. Le capitaine donc toussa pour éclaircir son gosier et lut tout haut ce qui suit :

« Mon cher Édouard Cuttle, quand je quittai la maison pour aller dans les Indes… »

Ici le capitaine s’arrêta pour regarder vivement Bunsby, qui regardait toujours fixement la côte du Groënland.

« Quand je quittai la maison pour aller aux Indes chercher, dans mon désespoir, des nouvelles de mon cher enfant, je n’ignorais pas que, si vous connaissiez mon dessein, vous vous opposeriez à mon départ ou que vous voudriez m’accompagner : c’est pour cela que je ne vous ai pas parlé de mes intentions. Quand vous lirez cette lettre, Édouard, il est probable que je ne serai plus. Vous pardonnerez facilement alors à un vieil ami sa folie, et vous vous sentirez de l’intérêt pour celui qui, dans son inquiétude et dans son trouble, a entrepris un voyage si incertain. Qu’il n’en soit donc plus question. J’ai peu d’espoir que mon pauvre enfant lise jamais ces lignes ou qu’il réjouisse vos yeux par la vue de sa bonne et franche figure. »