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Après cette allocution, empreinte d’un certain sentiment d’amertume, car elle n’a pas oublié qu’on ne l’a pas invitée à dîner le jour de la première soirée, Mme Chick use et abuse de son mouchoir de poche, et tombe sur le sein de M. Dombey. Mais M. Dombey la relève froidement et la conduit vers une chaise.

« Je vous remercie, Louisa, de cette marque d’affection ; mais je désire que notre conversation roule sur tout autre sujet. Lorsque je me plaindrai de mon sort, Louisa, ou que je témoignerai le désir de recevoir des consolations, alors, si vous le voulez bien, vous pourrez me les offrir.

— Mon cher Paul, répliqua sa sœur tenant son mouchoir sur sa figure et agitant sa tête, je connais votre courage et votre énergie ; je ne vous entretiendrai plus d’un sujet aussi pénible et aussi révoltant : et Mme Chick d’appuyer sur ses deux épithètes avec une indignation saisissante ; mais je vous en prie, laissez-moi vous demander, bien que je craigne d’apprendre quelque chose qui me répugne et m’afflige, laissez-moi vous demander si la malheureuse Florence…

— Louisa, dit son frère, d’un ton sombre, silence, pas un mot de plus sur ce sujet ! »

Mme Chick ne peut que secouer la tête, recourir à son mouchoir de poche et gémir sur ces Dombey dégénérés qui n’ont plus rien des Dombey. Mais elle ne sait si Florence a favorisé la fuite d’Edith, si elle l’a suivie, si elle a fait trop ou trop peu, enfin elle n’a pas la moindre idée de ce qui s’est passé.

Il continue, fidèle à ses principes, à garder pour lui seul ses pensées et ses sentiments et à n’en faire part à qui que ce soit. Il ne s’inquiète pas de sa fille, il peut croire qu’elle est chez sa sœur ou qu’elle est encore dans la maison ; il peut songer à elle constamment ou n’y songer jamais ; rien chez lui ne laisse deviner ses pensées.

Ce qui est bien certain, c’est qu’il ne croit pas l’avoir perdue. Il n’a aucun soupçon de la vérité ; il a vécu trop longtemps dans son orgueil inexpugnable, habitué à la voir, douce et bonne, mener au-dessous de lui son humble existence avec résignation pour avoir aucune crainte à ce sujet. Il est ébranlé, c’est vrai, par la tempête, mais il n’est pas encore couché à terre. Les racines de son orgueil sont longues et profondes, et, avec les années, elles se sont étendues et nourries de tout ce qui les entourait. L’arbre a été frappé par la cognée, mais non pas abattu.