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ma jeunesse. Depuis le premier jour où je vous vis, jusqu’au jour de ma mort, la part que vous avez prise dans mon existence, je l’ai regardée et je la regarderai toujours comme sainte ; ce n’est pas un souvenir fugitif, il est pour moi sans prix, et jamais je ne l’oublierai jusqu’à l’heure de ma mort. De vous voir encore me regarder, de vous entendre encore me parler, comme le soir de notre séparation, c’est un si grand bonheur pour moi, que je ne trouve pas de mot pour l’exprimer ; de posséder, comme un frère, votre amour et votre confiance, c’est le plus riche présent que je puisse recevoir avec joie !

— Walter, dit Florence en le regardant d’un air sérieux, mais en changeant de visage, qu’est-ce qui m’est dû ? Quels sont ces devoirs que j’ai le droit d’attendre de vous ? Quels sont ces devoirs, qui vous imposent, dites-vous, le sacrifice de vos sentiments ?

— Le respect, dit Walter d’une voix étouffée, la vénération. »

Elle pâlit et retira timidement et d’un air rêveur sa main qu’il tenait dans la sienne. Mais elle continuait à le regarder d’un air sérieux.

« Je n’ai pas les droits d’un frère, dit Walter. J’ai laissé une enfant, je retrouve une femme. »

Cette fois, elle rougit ; son geste sembla le supplier de n’en pas dire davantage et elle cacha son visage dans ses mains.

Ils gardèrent tous deux le silence un moment ; elle pleurait.

« Oui, je dois à un cœur si confiant, si pur et si bon, dit Walter, de le fuir au risque même de briser le mien. Comment voulez-vous que je croie aimer en vous une sœur ? »

Elle pleurait toujours.

« Si vous aviez été heureuse, si je vous avais vue entourée d’adorateurs, d’admirateurs ; si je vous avais vue, au milieu de tout ce qui peut faire envier la position pour laquelle vous avez été élevée, dit Walter, si alors vous m’aviez appelé votre frère, en souvenir du passé, j’aurais pu répondre à ce nom du rang obscur que j’occupe, sans craindre de trahir votre innocente confiance. Mais ici, mais maintenant…

— Oh merci ! merci ! Walter ! Pardonnez-moi de vous avoir si mal jugé. Je n’ai personne pour me conseiller. Je suis seule.

— Florence ! dit Walter avec feu, je me suis hâté de vous dire ce que, tout à l’heure, rien au monde n’aurait pu faire sortir de mes lèvres. Si j’avais été heureux, si j’avais eu les