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se rappelait lui avoir vues lorsque, pauvre enfant, elle était perdue dans les rues, attirant les regards de tous les passants ; mais bientôt (et la vive affection de Florence était trop clairvoyante pour ne pas s’en apercevoir), il devenait embarrassé, gêné en sa présence, et disparaissait immédiatement. Dans la journée, il ne venait jamais de son propre mouvement. Le soir seulement il était toujours là, et c’était pour Florence le plus heureux moment ; car alors elle croyait encore un peu que le Walter de son enfance n’avait pas changé. Et cependant une parole, la parole la plus ordinaire, un regard, un rien lui montraient qu’il y avait entre elle et lui une barrière indéfinissable.

Elle ne pouvait s’empêcher de remarquer que, malgré ses efforts, il ne parvenait pas à dissimuler ce changement trop évident. Elle se figurait que l’estime qu’il avait pour elle, le désir ardent qu’il éprouvait de lui épargner, lui, son ami, la plus petite douleur, le faisaient recourir à mille petits artifices, à mille mensonges innocents. Plus elle l’observait, plus elle était affligée jusqu’aux larmes de cet éloignement apparent de celui qu’elle appelait son frère.

Elle s’apercevait aussi que le bon capitaine, cet ami zélé et infatigable dans ses démonstrations de tendresse, frappé comme elle, de ce changement, en était douloureusement affecté. Il était moins gai, moins confiant qu’autrefois dans ses espérances, et le soir, quand ils étaient tous les trois ensemble, il regardait à la dérobée, d’un visage soucieux, Florence et Walter, Walter et Florence.

Florence prit enfin la résolution de parler à Walter. Elle croyait savoir maintenant la cause de ce changement, et elle se figura que ce serait à la fois un grand soulagement pour elle et pour lui de lui confier qu’elle avait découvert ce secret qu’elle s’y résignait parfaitement et qu’elle ne lui en faisait pas un crime.

Ce fut dans l’après-midi d’un certain dimanche, que Florence prit cette détermination. Le fidèle capitaine, avec un col de chemise ébouriffant, était assis à côté d’elle ; il était en train de lire, les lunettes sur le nez, lorsque Florence lui demanda où était Walter.

« Je pense qu’il est en bas, ma charmante, reprit le capitaine.

— Je voudrais bien lui parler, dit Florence qui se leva soudain comme pour descendre.